Xavier Azalbert, France-Soir
Censure, Omerta et Mystère acte II – En titrant « Les procureurs européens reprennent l'enquête belge sur le Pfizergate », Politico confond-il journalisme et propagande ?
France-Soir, Pixabay, AFP
Le 17, 18 et le 23 mars 2024, une enquête de France-Soir révélait l'information exclusive et historique selon laquelle au moins deux pays, la Pologne et la Hongrie, avaient déposé plaintecontre la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. France-Soir révélait aussi que l'EPPO essayait de s'accaparer la compétence de cette affaire en lieu et place du juge d'instruction Frenay. Seize jours auront été nécessaires à Politico pour reprendre cette information et la publier de manière incomplète ce 1ᵉʳ Avril 2024. L'information a été reprise dans de nombreux médias en France et à l'étranger, générant ainsi un biais informationnel : Titrer « l'EPPO a repris l'affaire PfizerGate » est fallacieux. Cet article vise à expliquer pourquoi.
Que dit l'article de Politico ?
Il confirme les informations de France-Soir, publiée après des échanges nombreux entre les diverses parties (EPPO, juge d'instruction, avocats, plaignants), à savoir, que deux pays, la Pologne et la Hongrie se sont joints à la plainte déposée le 5 avril 2023 par le lobbyiste Frédéric Baldan. Cette plainte, auprès du juge d'instruction Frenay à Liège, a comme chefs d'accusation : usurpation de fonctions et de titre, destruction de documents et prise illégale d'intérêt et corruption.
En outre, il indique que l'EPPO (Parquet européen) a repris l'enquête Belge, au cours des derniers mois, dans le #Pfizergate : « Les enquêteurs du Parquet européen (EPPO) ont succédé ces derniers mois aux procureurs belges enquêtant sur von der Leyen pour "ingérence dans les fonctions publiques, destruction de SMS, corruption et conflit d'intérêts" ». Ces éléments sont différents de ce que France-Soir a écrit et sera traité dans le chapitre suivant.
Politico indique ensuite que la Pologne « est en train de retirer sa plainte après la victoire électorale d'un gouvernement pro-européen dirigé par Donald Tusk ».
Que ne dit pas l'article de Politico ?
Tout d'abord, Politico ne cite pas France-Soir comme source. Ce qui en soi est un réel problème, car il ne permet pas au lecteur ou à un média qui reprendrait l'article de Politico de vérifier l'information originale. Nous verrons plus loin que les journalistes de Politico avaient été informés dès le 18 mars de l'enquête de France-Soir.
L'article n'évoque pas non plus de la possibilité que la Roumanie se soit joint à la plainte. Cette information n'est ni confirmée ni infirmée.
Les autres plaignants (une dizaine selon l'article de France-Soir) ne sont pas non plus cités, entre autres le parti politique français Les Patriotes, le parti belge Vivant Ostebelgien.
Est aussi omis, le fait que Donald Tusk, premier ministre de la Pologne depuis novembre 2023, est un ancien président du PPE, le parti d'Ursula von der Leyen.
Information biaisée : omissions ou arrangements avec l'information de Politico
L'article de Politico se présente comme un plagiat incomplet, omettant, travestissant et orientant l'information de base apportée par les trois articles de France-Soir. Une analyse critique est donc essentielle.
- En ne citant pas France-Soir comme source, Politico crée un défaut de traçabilité de l'information alors qu'elle doit pouvoir être vérifiée. Politico enfreint ainsi les devoirs numéro trois « Publier seulement les informations dont l'origine est connue ou les accompagner, si c'est nécessaire, des réserves qui s'imposent ; ne pas supprimer les informations essentielles et ne pas altérer les textes et les documents » et huit « s'interdire le plagiat » de la charte de déontologie des journalistes dite de Munich.
- La suppression par omission des informations sur la Roumanie, le rôle de Donald Tusk, génère un biais de perception non négligeable, car l'article est repris dans de nombreux médias, amplifiant ainsi l'erreur initiale. Un nouvel arrangement avec l'article 3 de la charte de Munich (ne pas supprimer des informations essentielles et ne pas altérer les textes et documents).
- Politico indique que, par l'intermédiaire d'un porte-parole, la Pologne est en train de retirer la plainte. Politico se garde bien de préciser que, le gouvernent Tusk n'est pas celui qui a vécu la crise, et qu'il existe un lien d'intérêt politique entre Tusk et von der Leyen : le PPE ! L'article ne s'étend pas non plus afin d'évaluer si la Pologne a bien été victime ou pas des actes d'Ursula von der Leyen. Un raccourci qui permet aussi de ne pas adresser le fait qu'avant de se joindre à la plainte du lobbyiste Frédéric Baldan, le gouvernement polonais et ces avocats ont bien dû évaluer en 2023 qu'il y avait un préjudice. Le changement de premier ministre ne devrait pas remettre en cause le préjudice du pays et les éléments constitutifs de l'infraction.
- La volonté de tenter de retirer cette procédure peut être vue comme une complicité au sein du PPE visant à protéger von der Leyen, la candidate du parti, le temps des élections. Une telle interférence du politique dans les affaires judiciaires porterait gravement atteinte à la séparation des pouvoirs, un fondement de la démocratie. Trafic d'influence ?
- De plus, en ne parlant pas des autres plaignants, Politico créé la perception que Baldan serait isolé et ainsi la minimisation de la cause du plaignant. Ce qui est contraire à ce que nous a dit une source proche du dossier que l'affaire était sérieuse.
- L'information, rapportée par Politico, est orientée par un travestissement de l'information et des faits. L'article contribue à influencer l'opinion en déformant des éléments fondamentaux.
- Le titre « l'EPPO reprend l'enquête » impose un contexte impliquant que le niveau européen (parquet européen) peut prendre le pas sur le niveau national (parquet belge). En ne précisant pas par quel mécanisme juridique, l'EPPO aurait repris le dossier, Politico n'apporte pas la preuve des faits annoncés, induisant ainsi le lecteur et les médias qui reprennent dans une information biaisée.
- La compétence de l'EPPO n'est pas établie par l'article : l'information n'est pas confirmée, y a-t-il une décision de la chambre du conseil à ce sujet ? Le texte de l'EPPO ne prévoit pas sa compétence sur certains des chefs de la plainte. Cet article orienté contribue donc à une opération de lobbying pro fédéraliste européen visant à imposer un narratif comme quoi l'EPPO aurait repris la procédure sans expliquer ce qui s'est passé ni comment. Ni même définir et expliquer ce qu'est l'EPPO. Ce qui avait été pourtant clairement expliqué dans les trois articles de France-Soir.
- Le 18 mars 2024, France-Soir rapportait qu'il devrait y avoir a minima un débat sur la compétence de l'EPPO qui se limitait aux affaires financières. France-Soir mettait aussi cette affaire dans la perspective du QatarGate, affaire pour laquelle l'EPPO ne s'est pas déclaré compétent, mais a confirmé, à France-Soir, travailler de manière très proche avec le parquet belge. « L'enquête Qatargate est menée par le parquet fédéral belge, avec lequel nous sommes en contact régulier. Il ne nous appartient pas de commenter leur enquête en cours » écrit Tine Hollevoet, porte-parole de l'EPPO. Cette même personne nous avait indiqué le 20 février que « L'enquête sur l'acquisition des vaccins COVID-19,…, est toujours en cours et couverte par le secret de l'instruction dans le souci de préserver les preuves utiles à la manifestation de la vérité » avant de rajouter le 23 février 2024 « l'EPPO n'a pas d'autres informations à partager sur l'enquête judiciaire en cours concernant l'acquisition des vaccins par l'UE. Notre point de vue n'a pas changé du jour au lendemain. »
- Contacté ce jour, l'EPPO ne confirme pas avoir repris l'enquête et il n'y a pas eu de communication de l'EPPO à ce sujet : « Quand je dis que nous communiquerons de manière proactive, cela signifie que nous publierons une mise à jour sur notre site web, les réseaux sociaux…. Pour cette enquête, nous n'avons pas encore publié de mise à jour concernant le communiqué de presse d'octobre 2022. Nous le ferons lorsque l'enquête aura atteint un stade où nous pourrons divulguer plus d'informations. Ce n'est actuellement pas le cas. Je n'ai pas d'autres commentaires ou détails à partager avec vous. Je répète que l'enquête est en cours et que nous ne dirons rien qui pourrait potentiellement compromettre son résultat ».
- Revenons un instant sur la Pologne pour illustrer l'orientation et le travestissement. L'article indique que la Pologne « est en train de se retirer ». Le temps grammatical utilisé prête à confusion, car on ne peut savoir si c'est le cas, ou pas. Il indique que l'action est continue alors qu'une décision est un état de fait : prise ou pas prise, créant ainsi une confusion sur l'état de la plainte. De plus, il n'apporte aucune précision sur la possibilité de retirer une plainte pénale une fois déposée. Dans les faits, cette plainte n'est plus à disposition du plaignant pour être retirée, mais à l'entière disposition des autorités judiciaires du ministère public. Une plainte pénale avec constitution de partie civile est un signalement d'une infraction au ministère public. C'est le parquet qui décidera sur instruction du juge s'il y a lieu de poursuivre. Le parquet représentant le ministère public. Politico, en n'apportant aucun élément de preuve, interfère ainsi avec le pouvoir judiciaire en faisant un énorme raccourci.
Quels médias ont repris l'information de Politico ?
À ce jour, l'article orienté de Politico a été repris par de nombreux médias dans divers pays. En Allemagne, par Berliner Zeitung. En Grande-Bretagne, The Express, The European Conservative. En Italie,La Republica, Il Sole 24 Ore, ilffatoquotidiano. En France, Valeurs Actuelles, Atlantico. Et dans d'autres pays, quand on fait une recherche Google, SLobodenpecat, Sputnik Mundo.
Seul, Florian Philippot, dans un tweet, saluera le travail de France-Soir :
La presse annonce que l’enquête criminelle sur ses SMS échangés avec le PDG de #Pfizer est élargie et que plusieurs États membres ont porté plainte au pénal contre elle (une première dans l’histoire de l’UE) !
Confirmation donc des infos…
Conséquences : en relayant l'information politiquement orientée de Politico sans la vérifier, les médias contribuent et accentuent une information biaisée, orientée et incomplète
Par ce manque d'objectivité, basé sur la confusion entre journalisme et propagande (devoir numéro 9 de la charte de Munich : « Ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste »), Politico confirmerait une posture partisane au profit du parti de la présidente. Ce qui est en opposition avec la manière dont Politico se présente sur son site : « une organisation mondiale non partisane d'information politique et politique, lancée en Europe en avril 2015 » avec une vision politique qui « s'efforce d'être la source dominante d'informations sur la politique et les politiques dans les centres de pouvoir de tous les continents, où l'accès à des informations fiables, un journalisme non partisan et des outils en temps réel créent, informent et engagent une citoyenneté mondiale. »
Politico n'est pas un simple média, mais une agence de communication dont l'un des services est le média Politico. Dans les faits, Politico organise des évènements, des panels, des campagnes publicitaires, de la revente d'information dans un service d'intelligence, ce qui est une possible explication sur le biais de traitement de cette information. Ce sont des revenus qui proviennent eux-mêmes des institutions, des multinationales et des grands lobbies. Ce type de modèle hybride mélangeant communication, marketing propagandiste et journalisme montre ici ses limites puisque le côté partisan l'emporte sur le devoir conféré par la charte de Munich. La main gauche ne voit peut-être pas ce que fait la main droite.
Politico, en tant qu'acteur de référence publiant une information non traçable, incite par là même les médias à relayer une information incomplète. Un réel argument d'autorité lié à la réputation et à la marque alors que le devoir numéro un du journaliste serait de fournir la base factuelle et de vérifier l'information.
De plus, le fait que les autres médias relaient politico sans re-vérifier l'information est en soi un réel problème, car ils amplifient les messages propagandistes sans donner au lecteur la base factuelle et originelle de l'information pour vérifier. Ce qui n'est pas sans rappeler l'affaire du décès de Martin Bouygues annoncé par l'AFP et repris par les médias, ou même l'étude du LancetGate sur laquelle aucun média n'avait pris le soin de vérifier l'information.
Politco ne pouvaient ignorer l'enquête de France-Soir. En effet, leurs journalistes Elsa Braun et Carlo Martuscelli avaient été personnellement informés dès le 18 mars 2024 par certains des plaignants de l'article de France-Soir, qu'ils ont eux-mêmes contacté par la suite à ce sujet. Les parties contactées indiquant bien aux deux journalistes que l'enquête avait été effectuée par France-Soir allant jusqu'à les inviter à prendre contact avec France-Soir pour valider les informations.
En outre, Carlo Martuscelli, Elsa Braun et le directeur de la rédaction de Politico John Harris ont été mis au courant de cette situation sans qu'ils donnent suite aux messages de France-Soir.
Trois questions fondamentales se posent :
- Vu la situation, comment ce type de structure (de Politico) est-elle compatible avec la charte de Munich ? Est-ce un média ou un organe propagande ?
- Pourquoi Politico traite une information inédite dans l'histoire de l'UE, à savoir des Etats membres qui poursuivent une président en exercice, de manière accessoire et secondaire ?
- Comment l'EPPO peut-il se déclarer compétent sur cette affaire sans communication officielle ?
Sur le dernier point, rappelons que la compétence de l'EPPO, mis en place en 2021, ressort d'une directive PIF qui limite sa compétence sur le champ particulier des infractions sur le blanchiment d'argent et dans l'éventualité où le budget de l'Union européenne en est victime. Les infractions, destruction d'un document public et immixtion dans les fonctions publiques, dénoncées par Frédéric Baldan ne ressortent pas de cette directive PIF sur lesquelles il n'y a aucune raison que l'EPPO ait la moindre compétence. Par contre, une compétence partagée peut exister sur le chef de corruption, si on considère que l'Union européenne est victime aussi des agissements d'Ursula von der Leyen.
L'EPPO est nouveau et tout cela n'a jamais été mis en œuvre avant. Sa compétence sur le chef de corruption pourrait être regardée comme concurrente de celle de la Belgique, ne serait-ce pas parce qu'il a une double victime ? À ce moment-là, Laura Codruța Kövesi, procureur en chef du Parquet Fédéral européen, devrait se constituer devant l'EPPO, en faisant valoir uniquement les intérêts de l'Union européenne qu'elle représente sans exclure les autres victimes que sont, entre-autres les États, Frédéric Baldan et les partis politiques.
Le 23 mars 2024, France-Soir écrivait :
« l'omerta des uns et la censure des autres interpellent. L'horizon juridico-politique d'Ursula von der Leyen s'obscurcit. Les éléments de l'affaire UrsulaGate sont sur la table, et cela fera probablement couler beaucoup d'encre au cours des prochaines semaines. »
Une source proche du dossier pénal en Belgique confirme ce jour que « le juge Frenay est toujours en charge, malgré les pressions exercées par l'EPPO. » L'encre coule bien cependant, la concurrence sur le chef de la corruption entre l'EPPO et la Belgique ne permet donc pas de titrer, tel que Politico le fait, que l'EPPO a repris la plainte ! Omerta, Censure et mystères subsistent bien.
Dans une optique confraternelle, nous publierons l'éventuelle réponse de Politico.