Oscar León
La candidate de gauche à la présidence de l'Équateur, Luisa Gonzalez et le président de l'Équateur et candidat à la présidence, Daniel Noboa (AFP)
Un rapport d'enquête a placé le président équatorien Daniel Noboa au centre d'une vaste conspiration visant à transformer son gouvernement en une entreprise de blanchiment pour les cartels transnationaux de la drogue. "The Grayzone" s'est entretenue avec Andrés Durán, le journaliste à l'origine de ce rapport qui a dû s'exiler pour sauver sa vie
L'article est une retranscription de la vidéo de « The Grayzone » dont le lien est plus bas.
L'Équateur vacille au bord d'un abîme de narcotrafiquants, en proie à la violence, avec son économie dollarisée et ses ports stratégiques transformés en une autoroute de la cocaïne à travers Guayaquil vers l'Europe et au-delà.
Le président Daniel Noboa, héritier d'un empire bananier exportant 3,5 milliards de dollars par an, préside une nation où l'austérité a vidé l'État de sa substance, laissant un vide que les cartels s'empressent de combler. Guayaquil, la ville portuaire, qui assure 70 % des exportations, est une passoire.
Plus de 600 kilos de cocaïne liés à Noboa Trading S.A. ont été saisis entre 2020 et 2024, à destination de la Croatie et de l'Italie, mais personne n'a été tenu pour responsable. Il ne s'agit pas d'un chaos ; c'est un système où l'argent liquide des narcotrafiquants - des milliards de dollars américains - alimente un État fragile trop ruiné pour imprimer sa propre monnaie.
Pour comprendre la crise équatorienne, il faut d'abord comprendre que l'on ne peut acheter de la drogue qu'avec de l'argent liquide.
Par conséquent, cet argent est drainé du système économique vers le monde souterrain. C'est comme essayer de garder un sceau plein alors qu'il est troué. Vous devez trouver un moyen de le reboucher. Nos systèmes économiques et sociaux en dépendent, car le remplacer en imprimant de l'argent provoquerait de l'inflation qui diluerait l'offre actuelle à un rythme alarmant.
Dans sa « guerre contre les gangs », le président Noboa a soigneusement évité les cartels de Sinaloa, CJNG (2 cartels mexicains) et des Balkans. Est-il possible qu'il ait conclu une sorte d'accord en coulisse pour maintenir la circulation de la drogue et de l'argent pendant qu'il écrase la dissidence ?
L'assassinat en 2023 de Fernando Villavicencio, militant anticorruption et candidat à la présidence, par le cartel connu sous le nom de Los Lobos a clairement démontré le prix à payer si vous défiez les cartels. L'Équateur est maintenant gouverné par un ordre narco-politique où l'argent l'emporte sur la justice, et l'austérité garantit que l'État ne ripostera pas.
Les cartels exploitent des décennies de coupes budgétaires, faisant de l'Équateur une plaque tournante du blanchiment, ses veines dollarisées pompant la richesse des narcotrafiquants dans un système mondial qui en a désespérément besoin.
Andrés Durán, un journaliste équatorien exilé après avoir révélé les liens mafieux de Noboa, a mis à jour un État complice de sa propre perte.
OSCAR LEÓN : « Andrés, merci de nous rejoindre. »
ANDRÉS DURÁN : « Merci, Oscar, merci à « The Grayzone ». Je suis ici pour partager ce que j'ai découvert.
OSCAR LEÓN : « Merci, Andrés. Au cours du débat présidentiel, Luisa González a interrogé Daniel Noboa sur le trafic de cocaïne de l'entreprise familiale, non pas une, mais plusieurs fois.
LUISA GONZÁLEZ :... Ma question est claire : êtes-vous ou n'êtes-vous pas le propriétaire de Noboa Trading, la société qui a exporté des bananes contenant de la cocaïne en 2020, 2022 et 2024 - alors que vous étiez déjà président ? Cinq procureurs ont été remplacés depuis, et toujours pas de réponses.
PRÉSIDENT DANIEL NOBOA : Non.
ANIMATEUR DU DÉBAT : « Candidat Noboa, vous avez une minute pour expliquer votre réponse. »
DANIEL NOBOA : « Non, je ne suis pas le propriétaire, mais les membres de ma famille le sont. »
OSCAR LEÓN : « Noboa nie en être le propriétaire. Il affirme que ce sont des membres de sa famille qui la dirige. Pouvez-vous expliquer l'importance de cette déclaration ?
ANDRÉS DURÁN : « Absolument. Mon enquête, menée avec des journalistes de toute l'Amérique latine, a mis au jour un scandale que les médias équatoriens ont tenté d'enterrer. Noboa Trading, lié au président Noboa par l'intermédiaire de Inmobiliaria Zeus S.A. (Équateur) et Lanfranco Holding S.A. (Panama), a été pris en flagrant délit de trafic de cocaïne : 167 kilos en 2020, 400 kilos en 2022 et 78 kilos en 2024, le tout à destination de l'Italie et de la Croatie.
Il ne s'agit pas de renseignements spéculatifs comme pour l'affaire León de Troya de Lasso (1), mais d'un crime flagrant. Et Noboa lui-même a admis en direct à la télévision que la société appartenait à sa famille - un aveu aux conséquences politiques, juridiques et réputationnelles explosives ».
Avant l'aveu du président lors du débat, il ne s'agissait que de sociétés fictives présumées.
La société contrôle les fermes, les camions et l'accès aux ports. Le 29 mars, le magazine Raya a confirmé les conclusions de Durán : plusieurs documents de police impliquaient directement Noboa Trading, faisant de cette affaire la première à relier directement un président équatorien au trafic de drogue - alimentant ainsi les soupçons d'une alliance entre un cartel et l'État.
Le 3 avril, Agência Pública (Brésil) a rapporté que Daniel Noboa et son frère détiennent 51 % de Lanfranco Holdings, qui possède à son tour Noboa Trading et des centaines d'autres sociétés - une tentative apparente de dissimuler l'influence, les intérêts commerciaux et les responsabilités fiscales du président. Noboa doit, notamment, 89 millions de dollars d'impôts et de taxes à l'État même qu'il gouverne !
Ce rapport confirme les enquêtes menées de longue date par M. Durán sur cette affaire.
ANDRÉS DURÁN : « Nous devons ajouter d'autres faits troublants et les relier entre eux. Tout d'abord, sous l'actuel président, seulement 5 677 dollars ont été alloués à l'unité de renseignement des ports et aéroports de la police nationale - un peu plus de 5 000 dollars ! Il s'agit du budget accordé à l'une des unités les plus importantes dans la lutte contre le crime organisé dans les ports du pays.
Deuxièmement, en ce qui concerne l'affaire de 2022 : à l'époque, Daniel Noboa était membre de l'assemblée représentative de la province de Santa Elena. Il a demandé à son principal conseiller d'agir en tant que représentant du seul accusé, M. José Luis R, dans les trois affaires qui incriminaient Noboa Trading. Ce conseiller est aujourd'hui l'actuel ministre de la Santé, M. Edgar José Lama Von Buchwald ».
Durán souligne qu'un mois seulement après l'arrestation, l'affaire a été classée lorsque le procureur Julio Sánchez, lié au gang Los Choneros (groupe criminel d'Équateur), a refusé d'engager des poursuites contre José Luis R., dont la seule fonction était d'être le représentant de l'entreprise lors de l'inspection des conteneurs. Par conséquent, José Luis R. a été légalement considéré comme non responsable de la « contamination par la drogue » (2) de la cargaison de bananes. L'affaire a été classée et aucune enquête n'a été lancée pour identifier les véritables auteurs.
ANDRÉS DURÁN : « Alors que Noboa affirme publiquement : "Ce n'est pas ma société, je n'ai rien à voir avec elle... mais mes proches sont impliqués", nous devons poser la question suivante : s'il ne s'agit pas de sa société, pourquoi a-t-il chargé son principal conseiller de défendre le seul suspect dans l'affaire ?
À l'époque, Lama Von Buchwald était le plus proche conseiller de Noboa, et pourtant il est devenu le représentant du seul accusé dans les affaires de trafic de cocaïne de Noboa Trading - bien qu'il soit un fonctionnaire public, ce qui le disqualifie légalement pour servir d'avocat de la défense.
Ce ne sont là que quelques-unes des irrégularités constatées. Et à tout cela, ajoutons un autre nom : celui de Mme María Beatriz Moreno Heredia, accusée de trafic illicite de substances réglementées. Quel a été son rôle exact ?
María Beatriz Moreno, présidente nationale d'ADN (Acción Democrática Nacional, le parti de Daniel Noboa), est accusée, avec quatre autres personnes, du délit présumé de trafic illicite de substances réglementées depuis août 2024, date à laquelle elle a été arrêtée dans le cadre de la saisie de 1,3 tonnes de cocaïne. Moreno, qui a été libérée le soir même, est également directrice d'autres entreprises du groupe Noboa, telles que Nobexport S.A et même Vinazín S.A, et Agroindustrias San Esteban C.A., qui ont été récemment impliquées dans des scandales de corruption.
LUISA GONZÁLEZ : « Chers Équatoriens, allez sur les médias sociaux et consultez Noboa Trading - des drogues ont été exportées dans des cartons de bananes de cette société, propriété de M. Daniel Noboa, vers la Croatie et l'Italie. De la drogue ! Celui qui fait des affaires avec vous... ou avec la mafia, c'est vous, M. Noboa.
Parlons du blanchiment d'argent - selon cette même conversation qui a fait l'objet d'une fuite, l'argent de la drogue est blanchi dans les banques aujourd'hui, ce que je combattrai. Et n'oublions pas que votre famille possède également des banques.
Capture d'écran du débat où la candidate Luisa González interpelle le président Daniel Noboa sur ses liens avec le trafic de cocaïne (24 mars 2025)
Permettez-moi de vous poser la question suivante : qui finance les partis politiques et les campagnes avec l'argent de la drogue ? C'est vous. María Moreno, liée au trafic de drogue, est présidente de votre parti et dirige neuf entreprises du groupe Noboa. Arrêtez de mentir au peuple équatorien ».
ANIMATEUR DU DÉBAT : « C'est l'heure de la deuxième interpellation du candidat Noboa. Vous avez 30 secondes.
PRÉSIDENT DANIEL NOBOA : « Luisa, vous êtes avocate - vous devriez savoir que si une entreprise alerte la police nationale au sujet d'une « contamination », cela signifie qu'elle coopère, et non qu'elle est complice, comme vous le prétendez. Pendant ce temps, vos amis sont toujours en liberté. Reconnaissez-vous la dictature de Maduro, Luisa ?
ANIMATEUR DU DÉBAT : « Candidate González : Vous avez une minute pour répondre. »
LUISA GONZÁLEZ : « Une fois de plus : Noboa Trading, une société équatorienne appartenant à M. Noboa, a été prise en flagrant délit d'exportation de drogues dans des cartons de bananes en 2020, 2022 et 2024. Cinq procureurs ont été remplacés. À ce jour, l'affaire n'est toujours pas résolue.
Le véritable pacte avec les mafias est le vôtre. Et vous n'avez toujours pas répondu : pourquoi la présidente de votre parti politique est-elle impliquée dans une affaire de trafic de drogue ? Le bureau du procureur a retiré son nom du système, et ce n'est qu'après le tollé général qu'il a rétabli les données.
Encore une fois : qui finance les campagnes politiques avec l'argent de la drogue ?
Quelques jours après le débat, María Moreno a été acquittée.
ANDRÉS DURÁN : « Il y a aussi le cas du directeur de Transmabo, qui a été accusé à deux reprises de trafic de cocaïne. S'agit-il de coïncidences ? Absolument pas. Ce ne sont pas des coïncidences, car Noboa avait le pouvoir de renforcer le contrôle du système d'inspection des bananes, assuré par la société UniBanano, et il ne l'a pas fait.
En fait, son ministre de l'Agriculture s'est rendu complice de la soi-disant « contamination par la drogue » à laquelle sont confrontées quotidiennement plusieurs entreprises exportatrices de bananes en Équateur.
OSCAR LEÓN : « Les défenseurs de Noboa diront que c'est quelqu'un d'autre qui a contaminé ses conteneurs, pas lui. Quelle est votre réponse à cela ?
ANDRÉS DURÁN : « Cette excuse ne tient pas. Ces conteneurs sont équipés d'enregistreurs de réfrigération qui suivent la température 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, de Guayaquil à l'Europe - toute tentative d'ouverture est enregistrée. Pourtant, dans aucun de ces cas, les données n'ont été vérifiées. Les camions sont équipés de GPS, mais aucun enregistrement n'a été examiné pour constater un arrêt. Noboa Trading est propriétaire de l'ensemble de la chaîne - les fermes, le transport et les parcs à conteneurs de Blasti S.A. Pour cacher 400 kilos, il faut au moins 15 personnes qui travaille en coordination - ce n'est pas l'œuvre d'un saboteur solitaire. Aucune enquête médico-légale n'a été menée. Cette omission est un signe de complicité.
Une seule personne, déclarée légalement inapte, a été inculpée dans les trois affaire, qui n'ont toujours pas été résolues. Ce qui est alarmant, c'est que les responsables de la « contamination » des cargaisons n'ont pas fait l'objet d'une enquête ou d'une arrestation. Comme le souligne M. Durán, ce type de contamination dissimulée nécessite des machines industrielles lourdes et une opération à grande échelle, ce qui est impossible à dissimuler. Il ne s'agit pas d'un sac de jute caché quelque part.
ANDRÉS DURÁN : « Pour faire ce genre de chose, il faut au moins 15 personnes. C'est-à-dire que 15 personnes ont accédé à la cour, au camion ou au dépôt de conteneurs appartenant à la société, Blasti Sociedad Anónima, propriété du président de la République et de sa famille, pour procéder à la « contamination ». 15 personnes qui n'ont pas été identifiées par la sécurité, 15 personnes qui sont entrées dans les lieux comme si c'était leur propre maison.
Durán souligne que dans un contexte de chute du marché des matières premières, le contraste entre les rendements pour les investisseurs est frappant : un conteneur de 29 tonnes de bananes vaut entre 12 000 et 18 000 dollars, tandis qu'un seul conteneur transportant une tonne de cocaïne vaut environ 37 millions de dollars (selon Europol/UNODC).
Etant donné que seulement 10% des conteneurs sont fouillés, les chiffres semblent parler d'eux-mêmes, surtout dans un système construit sur l'impunité.
Le 24 janvier à Madrid, le président Daniel Noboa a organisé une fête somptueuse dans un restaurant japonais - une nuit d'excès au cours de laquelle il aurait été vu en train de jeter de l'argent en l'air et participer à une grande célébration.
Le ministère espagnol de l'intérieur a ensuite déposé une plainte officielle concernant l'utilisation de véhicules officiels lors de l'événement. Le gouvernement équatorien a démenti l'information en la qualifiant de « fausse ».
Toutefois, le quotidien espagnol El Debate a révélé que les 15 000 dollars en espèces utilisés pour payer la fête provenaient de León Van Parys, un importateur de fruits travaillant avec Noboa Trading, qui aurait qualifié le paiement d'« avance » après avoir couvert les dépenses de l'assistant de Noboa. Van Parys est un partenaire européen du groupe Noboa dans le secteur de la banane.
Bien qu'il se présente comme un père de famille conservateur, Noboa est connu pour sa vie privée plutôt libérale. Lors du débat présidentiel, il a même été mis au défi de se soumettre à un test antidopage. Au lieu de répondre à la demande, il l'a ignorée et a rapidement changé de sujet.
LUISA GONZÁLEZ : « Je vous invite à téléphoner, à demander à quelqu'un de nous faire passer un test de dépistage de drogues lorsque nous quitterons ce plateau. Et pour tout le monde, il sera clair que nous voulons ainsi éduquer nos jeunes ».
Entre 2005 et 2010, des agents fédéraux américains ont enquêté sur la banque Wachovia pour blanchiment de 378,4 milliards de dollars au profit des cartels de la drogue. La banque n'a été condamnée qu'à une amende de 160 millions de dollars, soit une infime partie de l'argent transféré.
L'affaire Noboa Trading suit un schéma similaire : une surveillance laxiste, un blanchiment massif et une sanction symbolique qui maintient le système intact.
L'économie dollarisée de l'Équateur, affaiblie par des années d'austérité, pourrait dépendre de ce flux d'argent illicite encore plus que ne le faisait autrefois Wachovia. Selon les estimations du gouvernement, l'argent des cartels circulant dans le pays représente entre 3 et 5 milliards de dollars par an, bien que les chiffres réels restent invérifiables.
Dans ce contexte, le budget de 5 677 dollars de Noboa pour la police du renseignement portuaire est risible. Et pourtant, le pipeline reste grand ouvert - tout comme la sanction dérisoire prononcée contre Wachovia qui a préservé ses liquidités.
L'Équateur ressemble désormais à une banque « trop importante géopolitiquement pour faire faillite », recyclant les narcodollars dans un État qui ne peut pas imprimer sa propre monnaie, et alimentant en fin de compte le système financier mondial.
OSCAR LEÓN : « Nous avons vu des liens entre le gouvernement, la mafia des Balkans et les cartels mexicains sous Lasso (3). Est-ce que cela continue avec Noboa ? »
ANDRÉS DURÁN : « Non. Ce qui se passe en Équateur est un changement - un transfert de pouvoir de la mafia financière à la mafia exportatrice. Telle est la réalité.
Si vous examinez de près le rapport León de Troya, vous trouverez encore plus de choses, comme le cas non résolu du Banco de Guayaquil, la banque de l'ancien président Guillermo Lasso, qui a facilité des transferts d'argent pour la mafia albanaise.
Je possède des certificats d'intégration de capitaux liés à plusieurs individus en rapport avec la mafia albanaise, dont certains ont également des liens avec Banco Litoral, propriété de la famille Noboa. Ces liens donnent une image peu reluisante de l'État équatorien. Nous devons continuer à creuser pour démasquer les personnes impliquées dans le crime organisé, que ce soit par le biais des banques ou du système de contrôle de l'exportation de bananes.
Et qui a orchestré la déréglementation et le démantèlement de ce système ? Bernardo Manzano. Ministre de l'agriculture de Guillermo Lasso, il a également occupé un poste de direction au sein du groupe Noboa, où il a travaillé pendant près de 18 ans.
Ces faits en disent long sur l'administration actuelle. Au final, ils ont transformé le journaliste que je suis en exilé ».

L'ascension de Noboa est étroitement liée à l'assassinat du candidat à la présidence Fernando Villavicencio. Bien que la candidate, Luisa González, soutien de l'ancien président Rafael Correa, ait été initialement accusée, les autorités savaient dès le départ que le gang de Los Lobos était responsable de cet assassinat. Des fuites de conversations de la procureure générale Diana Salazar, révélées en août 2024, l'ont confirmé. Les dommages causés à la campagne de Mme González ont permis à M. Noboa de se présenter comme un candidat alternatif plus sûr.
Les circonstances du meurtre suggèrent une complicité de l'État. Le véhicule blindé de Villavicencio est arrivé en retard à la sortie arrière prévue, mais il a été inexplicablement dirigé vers l'entrée principale bondée, avec seulement deux gardes. Les agents supplémentaires affectés après de précédentes menaces n'ont rien fait. Des images montrent un coup de feu tiré près de ses propres escortes. Il était également seul dans la voiture, violant les protocoles de sécurité établis.
Le tireur principal est décédé plus tard en garde à vue, ce qui laisse présager une tentative d'étouffer l'affaire. Quelques heures plus tard, la police a effectué des perquisitions dans trois lieux et arrêté six Colombiens portant des armes et des téléphones, prétendument liés à des politiciens de l'opposition. S'agissait-il d'une réaction rapide des forces de l'ordre ou d'une opération soigneusement orchestrée ?
Los Lobos, affiliés au CJNG mexicain et aux cartels des Balkans, ont revendiqué le meurtre. En octobre 2023, les autres tueurs à gages avaient été réduits au silence en prison. Daniel Noboa, investi le 23 novembre 2023, contrôle désormais les exportations de bananes, l'armée, la police et les infrastructures portuaires de l'Équateur, autant d'éléments essentiels aux expéditions de cocaïne vers l'Europe. Pourtant, le trafic n'a pas été enrayé, même dans ses propres entreprises.
Les projets de Villavicencio de militariser les ports et de construire une prison de haute sécurité menaçaient directement ces routes du trafic. Même le président mexicain Andrés Manuel López Obrador a laissé entendre que l'État était impliqué.
Le 7 janvier 2024, « Fito », le leader de Los Choneros, s'est évadé de prison. Deux jours plus tard, Los Lobos ont pris le contrôle violent de TC Televisión. Cet incident a permis à Noboa de justifier sa déclaration de « guerre aux gangs », même si, curieusement, cette campagne excluait les cartels et les réseaux de blanchiment d'argent.
La répression sélective menée par Noboa contre les gangs de rue - alors que l'empire bananier de sa famille est régulièrement lié à des expéditions de cocaïne - suggère soit une profonde complicité, soit une profonde impuissance au sein d'une structure cartello-étatique héritée de l'administration Lasso.
Le beau-frère de l'ancien président Guillermo Lasso, Danilo Carrera, a collaboré avec Rubén Cherres, une figure liée au narco-réseau albanais. Cherres a opéré en toute impunité jusqu'à son assassinat en 2023. Le rapport León de Troya a révélé de nombreux liens avec le trafic de drogue, le trafic d'influence et la corruption de haut niveau, ce qui a donné lieu à trois enquêtes distinctes.
Bien que les législateurs américains aient exhorté le président Biden à réagir aux liens croissants entre l'Équateur et les cartels, aucune mesure significative n'a été prise. Des années d'austérité ont créé un vide politique, désormais occupé par le crime organisé. Sous la direction de Noboa, l'État semble peu disposé - ou incapable - de reprendre le contrôle.
OSCAR LEÓN : « Vous avez été menacé et vous avez été dans l'obligation de vous exiler. Que s'est-il passé ? »
ANDRÉS DURÁN : « Tout a commencé en octobre 2023, à l'Autorité provinciale d'Esmeraldas, lorsque j'ai enquêté sur des irrégularités immobilières impliquant le préfet. Cette femme présentait plusieurs incohérences dans son patrimoine. Après avoir publié des articles à ce sujet au moins trois fois, j'ai reçu des menaces.
En conséquence, j'ai été placé sous protection des victimes et des témoins, jusqu'à quatre jours avant le premier tour des élections, où ils m'ont expulsé sans explication. Ils ont prétendu que j'avais enfreint le protocole, qui ne prévoyait que des visites sporadiques à domicile pour vérifier si j'étais en vie. »
En 2024, après avoir révélé que les entreprises de Dritan Gjika continuaient d'opérer et de blanchir de l'argent pars le biais de l'exploitation minière, j'ai reçu une autre menace : un appel de la mafia albanaise. Pourtant, l'État et le système de protection n'ont rien fait. Au lieu de cela, le harcèlement judiciaire à mon encontre a continué.
Dritan Gjika, de nationalité albanaise, est arrivé à Guayaquil en 2009 et, pendant plus de 13 ans, a fréquemment voyagé en Europe et en Amérique latine. Il a bâti un réseau de 71 entreprises en Équateur, couvrant les secteurs de la construction, de l'agriculture et de l'immobilier, prétendument pour faciliter le trafic de drogue et le blanchiment d'argent.
En décembre 2022, Gjika s'est enfui à Dubaï et reste en fuite, sous le coup d'une notice rouge d'Interpol. Les enquêteurs ont découvert que ses entreprises, dont beaucoup devraient être fermées, servent toujours de façade à des activités illicites, étendant son influence sur l'économie équatorienne.

CNN a révélé un plan de Noboa visant à militariser l'Équateur avec l'installation d'une base militaire qui permettrait la libre circulation des troupes américaines pour lutter contre la criminalité
ANDRÉS DURÁN : « J'ai reçu une plainte de la part de membres présumés d'un gang criminel très dangereux appelé Los Choneros. Deux frères de la province de Los Ríos, que je n'avais même pas mentionnés. Le plaignant ne faisaient d'ailleurs pas partie de mon enquête. Nous avons appris plus tard que le détenu qui m'a poursuivi en justice était, à l'époque, le partenaire amoureux de Diana Salazar, la procureure générale de la Nation. »
La procureure générale Diana Salazar est au cœur de plusieurs scandales grandissants. Sa réputation a été mise à mal après la fuite de conversations - d'abord rapportées dans l'article de The Grayzone d'août 2024- suggérant qu'elle agit comme un pion de l'ambassade des États-Unis et de l'élite de la droite équatorienne.
Les messages la montreraient en train de coordonner ses actions avec des agents américains pour protéger les alliés des présidents Guillermo Lasso et Daniel Noboa, tout en ciblant agressivement des figures de l'opposition.
Les critiques affirment que la justice sélective de Salazar, appuyée par des conversations qui suggèrent une pression américaine, garantit l'impunité de la droite, consolidant un ordre politique où Noboa prospère et où la dissidence de gauche est écrasée.
OSCAR LEÓN : « Il semble qu'en Équateur, le trafic de drogue et le blanchiment d'argent soutiennent à la fois la société et le système bancaire mondial, tandis que la prétendue guerre contre les gangs cible les agents subalternes, des fantassins facilement remplaçables, ignorant les cartels et les structures de blanchiment d'argent. »
ANDRÉS DURÁN : « Lorsque le président Guillermo Lasso a pris ses fonctions, il était déjà compromis. La police nationale surveillait les membres actifs de la mafia albanaise, dont l'un de ses bailleurs de fonds, Rubén Lleras. Les liens de Lleras avec Rubén Cherres - et, par son intermédiaire, avec le chef de la mafia albanaise Dritan Gjika - montrent que ces réseaux criminels s'étendent bien au-delà de la politique. Il ne s'agit pas seulement de narco-politiciens ; il s'agit d'hommes d'affaires, notamment du secteur financier. La mafia entretenait même des liens directs avec l'une des principales banques équatoriennes. »
Un autre problème majeur est l'effondrement de la politique de sécurité du pays. L'ambassadeur des États-Unis, Michael Fitzpatrick, a déclaré publiquement que l'Équateur disposait de « narco-généraux, de narco-juges et de narco-procureurs », mais aucune enquête n'a été menée. J'ai été le premier journaliste à porter plainte contre quatre généraux de la police nationale pour avoir dissimulé le rapport León de Troya, qui révélait les liens de Lasso avec la mafia albanaise. Rien n'a été fait.
Parallèlement, le gouvernement a accéléré la déréglementation de l'industrie bananière, un canal connu pour le trafic de drogue. Des décrets exécutifs ont permis l'instauration de quotas d'exportation frauduleux, notamment le tristement célèbre « code F » utilisé pour faire passer en contrebande de la cocaïne dans les cargaisons de bananes. Des organisations criminelles ont infiltré les forces de sécurité, comme l'a révélé l'affaire Metástasis, où deux policiers impliqués dans des affaires de blanchiment d'argent sont toujours en service actif.
L'économie dollarisée de l'Équateur en fait une plateforme idéale pour le blanchiment d'argent illicite, mais l'absence de surveillance financière continue d'alimenter la corruption et la violence. Il ne s'agit pas d'une simple négligence, mais d'une complicité systémique.
Infographie : Daniel Noboa
Bien qu'il ait réussi à s'échapper, le sort de Durán a failli ressembler à celui de Villavicencio. Mettez en danger le distributeur automatique de billets et vous êtes en danger.
La machine ne s'arrête jamais. Depuis 2018, l'Équateur est devenu un nœud clé du trafic mondial de cocaïne. Au moins 17 saisies de conteneurs de fruits contenant de la drogue - principalement des bananes - ont été signalées dans des destinations comme la Russie, l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne, la Turquie et les États-Unis, pour un total de plus de 38 tonnes lorsque les quantités sont divulguées (sources : Reuters, BBC, Nexta TV, EL PAÍS English, Revista RAYA).
Ces saisies révèlent comment les exportations de bananes équatoriennes ont été systématiquement utilisées pour le trafic de cocaïne. Parmi les faits marquants, on compte 257 kilos saisis en Russie en 2018, 3 tonnes en Équateur à destination de la Russie en 2023, 6,2 tonnes à Posorja (Équateur) en 2024 et un record de 13 tonnes interceptées en Espagne la même année. Il est fort probable que ces rapports ne soient qu'une infime partie de la réalité. Les saisies et interceptions nationales de moindre envergure dans des zones de transit comme le Panama passent souvent inaperçues.
Bien que Luisa González n'ait mentionné que trois cas, sur les 17 documentés, au moins cinq sont directement liés au groupe Noboa, par l'intermédiaire de Noboa Trading S.A. ou de filiales comme Bonita Banana.
Cinq cas liés au groupe Noboa depuis 2018
- 2020 - 167 kg en l'Italie (Noboa Trading S.A.)
- Détails : 167 kg de cocaïne ont été saisis dans des conteneurs de bananes expédiés par Noboa Trading S.A., interceptés dans un port italien (probablement Gioia Tauro ou Livourne). Fait partie des plus de 600 kg évoqués par Andrés Durán pour Noboa depuis 2020.
- 30 juin 2022 - 260 kg à Naportec, Guayaquil (Noboa Trading S.A.)
- Détails : 260 kg de cocaïne ont été trouvés dans des conteneurs de bananes de Noboa Trading au port de Naportec, à Guayaquil, en lien avec l'arrestation de José Luis Rivera Baquerizo (libéré par la suite). Pré-exportation, à destination de l'Europe.
- 2022 - 400 kg en Croatie (Noboa Trading S.A.)
- Détails : 400 kg de cocaïne ont été saisis dans des cargaisons de bananes de Noboa Trading dans un port croate (probablement Rijeka), toujours dans les plus de 600 kg de Durán.
- 2024 - 600 kg à Mersin, Turquie (Banana Bonita)
- Détails : 600 kg de cocaïne ont été saisis au port de Mersin dans des cartons de bananes portant la marque « Banana Bonita », une entité du groupe Noboa sous Fruit Shippers Ltd., par les douanes turques.
- 23 mars 2025 - 324 kg vers l'Italie (Noboa Trading S.A.)
- Détails : 324 kg de cocaïne ont été saisis en Équateur, à destination de l'Italie dans des caisses de bananes Noboa Trading, confirmées par les documents de la police et l'ADN40. X posts (@radiolacalle) le confirment.
Source : Empresa de familia de Daniel Noboa, presidente de Ecuador, involucrada en tráfico de cocaína a Europa - Revista RAYA
Ces saisies représentent 1 751 kilos de cocaïne entre 2020 et 2025, comme le confirment ADN40, Revista RAYA et Andrés Durán.
Les 12 saisies restantes impliquent d'autres exportateurs ou des entreprises anonymes. Les données suggèrent que Noboa, par action ou par omission, est profondément impliqué, mais pas seul, dans le réseau équatorien de narco-exportation.
Pour comprendre l'ampleur de cette affaire, il suffit de considérer : Guayaquil, qui traite 70 % des exportations équatoriennes, a transporté environ 325 000 conteneurs de bananes rien qu'en 2023 (AP News, 3 septembre 2023).
Entre 2018 et 2023, cela représente probablement entre 2 et 2,5 millions de conteneurs. Pourtant, moins de 40 conteneurs contenant de la cocaïne ont été saisis. Cela représente moins de 0,002 %, soit quasiment rien.
Même en tenant compte d'éventuelles saisies non déclarées - certaines estimations évoquent 80 tonnes rien qu'en 2024, soit environ 4 000 conteneurs -, le taux d'interception pourrait atteindre 1 sur 500. Pourtant, les probabilités penchent largement en faveur des trafiquants. L'ampleur du volume d'expéditions de Guayaquil offre une couverture, permettant aux exportations de narcotrafic de circuler en quasi-impunité.
Les ports équatoriens sont une plaque tournante du trafic mondial de cocaïne, tandis que son système déréglementé et dollarisé est un paradis pour le blanchiment d'argent, alimentant un besoin mondial d'argent issu du narcotrafic. Un système bien huilé, impuni, essentiel et mortel.
Source : The Grayzone
(1) L'affaire « León de Troya » est un scandale politico-criminel majeur en Équateur, éclaté sous la présidence de Guillermo Lasso. Elle met en lumière des liens présumés entre des proches du pouvoir, notamment Danilo Carrera (beau-frère de Lasso), et la mafia albanaise, avec des ramifications dans le trafic de drogue, le blanchiment d'argent et la corruption au sein de l'administration publique.
(2) N.D.L.R. : La défense consiste à prétendre que la drogue a été déposée par des tiers dans les conteneurs pour dédouaner les sociétés exportatrices. On parle ainsi de « contamination » des cargaisons. Mais il est vrai que ce stratagème est aussi utilisé par les trafiquants qui infiltrent tous les rouages des ports équatoriens.
(3) Guillermo Lasso président de la république de l'Équateur du 24 mai 2021 au 23 novembre 2023.