Par M.K. Bhadrakumar - Le 1er août 2025
L'auteur bien connu, gestionnaire de fonds et chroniqueur pour le Financial Times, Ruchir Sharma, a écrit cette semaine que la perception selon laquelle le pari du président américain Donald Trump avec les taxes douanières aurait de graves conséquences mais cela n'a pas vraiment été confirmée par les données économiques. Il a néanmoins dit « jusqu'à présent, les conséquences ont été beaucoup moins perturbatrices que ce à quoi presque tout le monde s'attendait. »
« Les recettes douanières augmentent à un rythme annuel supérieur à 300 milliards de dollars, soit environ quatre fois plus que l'année dernière à la même époque", souligne Sharma, en tant que responsable des activités internationales de Rockefeller Capital Management.
Le gouvernement Modi était optimiste et pensait que l'Inde s'en tirerait avec une taxe comprise entre 10 et 15%. Le message du 30 juillet de Trump sur Truth Social qui annonçait un tarif punitif de 25% sur les produits indiens a été un choc brutal.
L'optimisme du gouvernement reposait sur l'espoir que sa diplomatie « Chanakyan » adoucirait Trump. Delhi se prépare à générer d'énormes volumes d'affaires pour les vendeurs d'armes américains.
Juste 24 heures avant l'annonce de Trump, il est apparu que l'Armée de l'air indienne [IAF] avait indiqué au gouvernement que les avions de combat furtifs américains F-35 était son option préférée en tant que plate-forme provisoire jusqu'à ce que l'Inde puisse produire un avion de combat polyvalent de cinquième génération. Le moment choisi pour diffuser un message contenant de telles informations top secrètes a manifestement été orchestré pour porter cette séduisante proposition à l'attention de Trump avant le 1er août dans un doux rappel que c'est lui qui avait personnellement offert un chasseur furtif F35 au Premier ministre Narendra Modi dans le Bureau ovale en février. Delhi signale ainsi qu'à la vitesse de l'éclair sa lourde bureaucratie achève la paperasse.
Le site Web de l'Indian Defence Research Wing [DRW] a rapporté : "L'IAF a recommandé de se procurer 60 chasseurs de cinquième génération à titre de mesure provisoire jusqu'aux alentours 2035. Le Lockheed Martin F-35 Lightning II de fabrication américaine est un concurrent de premier plan en raison de ses antécédents éprouvés au combat, de son taux de production élevé (plus de 1 000 unités dans le monde) et de son armement avancé. Le Su-57 E russe, bien qu'offert avec transfert de technologie, a été critiqué pour ses lacunes de développement et son intégration limitée dans l'Armée de l'air russe, faisant du F-35 le choix préféré, selon des sources."
Le DRW fait l'éloge du F-35 en tant que talisman qui « transformera l'IAF en une force quasi futuriste d'ici 2035. » Si le gouvernement Modi achète 114 F-35, nous apporterons une contribution massive à l'America First de Trump. Dans notre naïveté, nous pensions que cette fuite au sujet des F35 coincerait Trump pour toujours en tant qu'ami de l'Inde.
Mais le coût de vol d'un avion de chasse F 35 est de 35 000 USD par heure, soit 28 000 000 roupies par heure. Le F 35 est l'avion de combat le plus cher au monde et le coût d'un avion est d'environ 110 millions de dollars AMÉRICAINS, soit 96.800.000.000 de roupies. Et, bien sûr, ce prix n'inclut pas l'ensemble des armes ainsi que les autres réparations et exigences d'entretien pour les décennies à venir.
Sans surprise, le F35 est un sujet extrêmement controversé. La grande question est de savoir si Trump autorisera, dans le feu de l'action, l'IAF à déployer des F35 contre le Pakistan, où les membres de sa famille serait en train d'exploiter une mine d'or ?
Le Parti du Congrès a plaidé pour que le Premier ministre ne prenne pas une dans le feu de l'action « position unilatérale » en la matière. Le porte-parole du Congrès a posé quelques questions : « Le rapport du Pentagone » de l'agence de sécurité américaine a-t-il lui-même admis que l'avion de combat F35 ne répondait pas à ses exigences opérationnelles ? Le rapport de l'agence de sécurité américaine du Pentagone a-t-il admis que le F-35 présentait 65 failles opérationnelles ? Modiji a-t-il étudié ce rapport du Pentagone et a-t-il demandé à l'Armée de l'air indienne d'étudier ce rapport ? »
En effet, une telle décision du gouvernement indien signifierait que le F35 sera le principal chasseur de première ligne de l'IAF pour les décennies à venir. Inversement, cela signifie également l'élimination progressive des avions de combat de fabrication russe de l'inventaire indien dans un avenir proche.
Trump est un homme d'affaires intelligent. Il a agité un tissu rouge devant des Indiens excitables et tué trois oiseaux d'un seul coup. En menaçant de punir l'Inde avec des droits de douane élevés, Trump plante en fait une idée alléchante dans l'esprit indien que le gouvernement Modi doit convenablement « l'inciter«. En clair, il s'attend à ce que Modi conclue irrévocablement l'accord F35. En fait, la réaction docile du ministère du Commerce indique que le message est bien compris.
Trump était un grand maître de la télé-réalité et est le gourou de tous les gourous du théâtre politique. Quel est le véritable plan de Trump ?
Trump a littéralement fait des achats d'armes étasuniennes et des importations de pétrole en provenance de Russie les éléments centraux de sa politique envers l'Inde. Il est confiant qu'il réussira avec le gouvernement Modi. De sa position haute, il est concevable qu'il jette un os ou deux à mâcher au paysan indien, mais c'est pour l'optique ; et notre gouvernement saluera cela probablement comme un succès pour la diplomatie indienne.
Une telle pantomime ne se jouerait pas aujourd'hui de manière cynique si seulement le Premier ministre Modi avait été franc et audacieux en rejetant la prétention de Trump d'avoir empêché l'Inde et le Pakistan de commettre un harakiri dans une conflagration nucléaire. Trump a nargué Modi au moins 28 fois avant de prendre la décision de suspendre sa médiation commerciale.
La partie la plus dangereuse est que Trump a lié la relation Inde-Russie à sa guerre douanière contre l'Inde. Les États-Unis ont goûté au sang : les liens de défense entre l'Inde et la Russie s'atrophient rapidement. Trump sent que le temps est venu pour la mise à mort finale. C'est une nécessité géopolitique pour l'équilibre mondial.
Dans la confrontation imminente entre l'Occident collectif dirigé par les États-Unis et la Russie, Trump menace que si l'Inde ne rejoint pas le camp occidental, elle aura un lourd tribut à payer. Il peut même sanctionner des entités et des fonctionnaires indiens. Maintenant, le refus de visa sera l'option la plus méchante de toutes pour l'élite indienne.
Hier, dans un deuxième post sur Truth Social, Trump a pratiquement accusé l'Inde d'être l'alliée de la Russie : « Je me fiche de ce que l'Inde fait avec la Russie. Ils peuvent tuer leurs économies déjà mortes ensemble, pour autant que je m'en soucie. Nous faisons très peu d'affaires avec l'Inde ; de même, la Russie et les États-Unis ne font presque pas d'affaires ensemble. Continuons comme ça... »
Les explosions émotives malveillantes de Trump révèlent un peu de vérité tacite. Il n'a aucun respect pour l'Inde, ni pour le gouvernement Modi. Il est douteux qu'il oserait parler de l'Inde d'Indira Gandhi avec un tel mépris. Il y a quelque chose ici à introspecter sérieusement. Quelle est donc cette relation privilégiée qui passionne tant nos élites ?
Trump estime que les élites indiennes manquent de respect de soi et de courage pour résister à son intimidation. Le respect de soi, bien sûr, n'est pas une vertu qui peut être cultivée ; c'est un trait inné ; certains sont nés avec, la plupart ne l'ont pas, dans une société féodale.
M.K. Bhadrakumar
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.