05/12/2025 mondialisation.ca  9min #298160

Trump et Israël veulent découper Gaza et la placer dans des camps de concentration

Par  Marc Vandepitte

Trêve sur papier

Le cessez-le-feu qui a commencé le 10 octobre est officiellement toujours en vigueur, mais dans la pratique il est peu question de paix. Selon le Gaza Government Media Office, Israël viole la trêve plus de  dix fois par jour, avec au moins  357 morts et  875 blessés comme conséquence depuis son début.

Parallèlement, l'ONU décrit au Conseil de sécurité un paysage dévasté : près de  80 % des 250 000 bâtiments sont endommagés ou détruits, la  plupart des terres agricoles sont irrémédiablement ruinées et plus de 1,7 million de personnes sont déplacées, souvent sans assez d'eau, de nourriture ou de soins médicaux.

Israël occupe toujours la partie orientale de Gaza, plus de la moitié de la bande. Près de 2 millions de personnes sont entassées de l'autre côté d'une « ligne jaune ».

Division de Gaza. Carte : Maison-Blanche

Des camps de concentration sous contrôle israélien

Le New York Times  rapporte que Washington veut « réinstaller » une partie de cette population déplacée du côté de la ligne jaune contrôlé par Israël. Il s'agit de soi-disant « camps modèles » qui seraient « plus permanents » que des villages de tentes, mais qui consistent toujours en structures temporaires, une sorte de logements en conteneurs.

Par camp, 20 000 à 25 000 personnes pourraient y vivre, avec des hôpitaux et des écoles. Ceux-ci ne verront cependant pas le jour rapidement. Les premières structures prendront des mois à arriver. Entre-temps, la crise humanitaire se poursuit.

Israël vend ces « camps » comme un accueil d'urgence « jusqu'à ce que le Hamas soit désarmé » et que Gaza passe sous une seule administration. Selon un haut collaborateur de Trump impliqué dans le soi-disant « plan de paix », la reconstruction n'aura toutefois pas lieu tant que le Hamas n'aura pas disparu.

Avec ce plan, une division de fait menace : une zone contrôlée par Israël avec des habitants « autorisés » (sans Hamas), et une autre zone où la majorité (avec Hamas) continue de survivre sous blocus.

Des responsables israéliens auraient le dernier mot sur qui peut entrer. Des contrôles d'antécédents et un filtrage déterminent qui est « admissible ». Il y aura donc des listes noires et un système dans lequel les services de base dépendent de l'autorisation d'une puissance occupante.

Celui qui passe le contrôle obtient une place. Celui qui n'a pas « réussi » le filtrage reste dans la zone restante surpeuplée, sans garanties de protection ou d'aide.

L'aspect le plus alarmant est qu'il ne s'agit pas tant d'accueil que d'enfermement. Car, selon certains responsables israéliens, les Gazaouis pourront « pour des raisons de sécurité » déménager vers les camps, mais n'auront ensuite plus le droit d'en sortir. C'est, par définition, ce que l'on entend par camps de concentration.

Rafah comme laboratoire de la déportation

Les plans visant à chasser massivement les Gazaouis ne sont pas nouveaux. Plus tôt cette année, le ministre israélien de la Défense Israel Katz a plaidé pour une immense « ville humanitaire » sur les ruines de Rafah, couplée à un «  plan d'émigration » pour des centaines de milliers de Palestiniens.

Des pays comme la Jordanie, l'Égypte, le Soudan, la Somalie et la région non reconnue du Somaliland ont  été sollicités tout au long de l'année par les États-Unis et Israël pour « accueillir » la population de Gaza. Pour autant qu'on le sache, ces pays ont (pour l'instant) refusé.

Il est frappant que Rafah réapparaisse maintenant comme lieu. Des responsables égyptiens ont averti que cela peut être un présage d'une nouvelle pression visant à pousser des Palestiniens vers le Sinaï.

Le langage antérieur de Trump à propos de Gaza plane de toute façon comme une ombre sur tout « plan de paix ». Il a auparavant appelé au déplacement permanent de « tous » les Gazaouis et a parlé d'une « prise de contrôle » américaine avec démolition et reconstruction en une « Riviera du Moyen-Orient ».

Le nouveau plan sonne plus technocratique, mais aura le même effet : déplacer la population, diviser l'espace et construire une structure « temporaire » qui devient permanente.

Selon le  New York Times, le projet est dirigé par le responsable de Trump Aryeh Lightstone, avec une équipe de diplomates américains, de magnats israéliens et de personnes liées à DOGE, l'agence dissoute qui devait mettre en œuvre des économies dans l'appareil administratif des États-Unis. Le financement n'est pas clair.

Force internationale de paix

Tout cela s'inscrit dans un «  plan de paix » plus large. Le 17 novembre 2025, le Conseil de sécurité de l'ONU a approuvé une résolution qui soutient le plan de Trump, y compris une « International Stabilization Force » (ISF) et un gouvernement de transition avec Trump lui-même comme chef.

Cette ISF devrait sécuriser les frontières, apporter la stabilité en démilitarisant Gaza et en désarmant le Hamas et d'autres groupes de résistance, ce qu'Israël n'a pas pu atteindre après deux ans de guerre. Sur le papier, la force doit aussi protéger les civils et soutenir l'aide.

On peut se demander à quel point une force de troupes est neutre lorsqu'elle doit désarmer une partie au conflit. Le Hamas et d'autres factions rejettent en tout cas le plan. Ils  avertissent qu'il s'agit d'une administration imposée qui sape le droit à l'autodétermination. Des personnes à Gaza City  interrogées par Al Jazeera disent la même chose : « Nous pouvons nous gouverner nous-mêmes. »

En octobre de cette année, il a  été rapporté qu'il y avait des pays qui envisageraient de participer à une ISF, mais entre-temps aucun pays n'a encore donné son accord. Israël revendiquerait en outre le droit de refuser des pays et ne veut pas laisser entrer  des troupes turques.

Un cessez-le-feu qui est constamment violé rend la mission encore plus toxique. Qui envoie des soldats dans une mission qui revient surtout à contrôler une population assiégée ?

Mouvement de solidarité à un carrefour

Selon Francesca Albanese, rapporteure spéciale de l'ONU pour la Palestine,  au moins soixante pays ont approfondi leurs liens économiques, commerciaux et politiques avec le régime sioniste.

Ils en profitent, tout en détournant entre-temps le regard des obligations élémentaires au titre de la Convention sur le génocide, de l'avis de la Cour internationale de Justice sur l'illégalité de l'occupation, et de l'affaire devant la Cour pénale internationale contre Benjamin Netanyahu et Yoav Gallant pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité.

Cette hypocrisie se vend en ce moment encore plus facilement dans l'ombre du « cessez-le-feu ». C'est pourquoi la pression publique reste plus que jamais cruciale pour arrêter l'agression d'Israël. Des sanctions économiques, politiques et diplomatiques sont nécessaires pour que le pays soit effectivement traité comme un État paria.

L'embargo sur les armes de l'Espagne, après la Slovénie seulement le deuxième pays européen, montre comment la pression de la rue peut percoler vers la politique. Là où la diplomatie échoue, le levier vient souvent d'en bas. Des camps d'étudiants ont contraint des universités à parler des investissements et de la complicité.

 Des dockers en Italie, en France, au Maroc et en Espagne, entre autres, ont refusé des transports d'armes. Des syndicats en Belgique et en Inde ont déclaré qu'ils ne veulent pas collaborer à une logistique qui détruit Gaza. Au Royaume-Uni,  Palestine Action a ciblé des usines d'armement. Leurs actions ont contraint des entreprises d'armement à interrompre temporairement leurs activités, à perdre des contrats et à se retrouver sous l'attention du public.

Ces actions doivent se poursuivre, ainsi que la pression économique : désinvestir, actions de consommateurs et cessation de la complicité institutionnelle.

Mais nous devons aller plus loin que des campagnes isolées. Selon le site Mondoweiss, le mouvement de solidarité doit rompre avec le rythme des vagues de protestation qui s'enflamment dans des moments de crise et retombent dès que le silence médiatique (ou la répression) s'installe.

Cela demande des structures durables, de solides alliances et des stratégies qui continuent à fonctionner, même quand les caméras sont parties.

Dans ce cadre, l'organisation numérique, le fait de déconstruire la désinformation et une communication sûre deviennent des instruments cruciaux. Les alliances avec des mouvements anticoloniaux, syndicaux, féministes, climatiques et antiracistes doivent s'approfondir, afin que la Palestine ne soit pas vue comme « un conflit » mais comme une partie d'une lutte mondiale contre l'oppression.

Et surtout : les voix palestiniennes doivent rester centrales, avec leurs exigences et leur direction comme boussole. Ce qui est nécessaire maintenant, c'est une solidarité structurelle qui s'ancre dans des organisations, la culture, la politique et les pratiques quotidiennes de résistance et de soin.

Marc Vandepitte

La source originale de cet article est Mondialisation.ca

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