Robin Delobel
Que signifie M27? L'envoi d'armes vers Israël peut-il continuer ? A Marseille, un collectif citoyen réunissait près de 1 000 personnes pour manifester contre Eurolinks. Cette entreprise a envoyé au moins 800 kg de composants pour armes fin octobre vers Israël, selon l'enquête publiée par Marsactu et Disclose. Le média marseillais souligne que des armes comprenant des composants fabriqués par Eurolinks ont pu être utilisées à Gaza pour tuer des Palestiniens et Palestiniennes.
Pourquoi manifestiez-vous le 1er avril près de la Rose, où est implantée l'usine Eurolinks ?
Lundi 1er avril nous étions entre 700 et 1000 manifestants à nous réunir au métro la Rose dans le 13ème arrondissement de Marseille pour aller protester devant le siège de l'entreprise. Depuis soixante ans Eurolinks est spécialiste de la fabrication de petits maillons qui permettent de construire des mitrailleuses. Suite aux révélations de Disclose et de Marsactu, il était important pour la trentaine de collectifs, syndicats, associations, de se réunir devant Eurolinks pour dénoncer à la fois ce commerce nécrophile et mortifère et surtout dénoncer la culpabilité de l'État français dans l'envoi d'armes. Le commerce d'armes est très régulé et si l'État français n'accordait pas de licences d'exportation, les armes ne pourraient pas être exportées. Nous étions sur place pour protester donc contre Eurolinks mais aussi contre la responsabilité de l'État français dans la guerre coloniale en Palestine.
Ces armes sont envoyées depuis longtemps ?
Des colis ont été expédiés fin octobre à IMI Systems, qui a été rachetée par Elbit System. Ce sont les seuls pour lesquelles on a des preuves mais sans doute que d'autres colis ont été envoyés depuis cette date.
La réaction du ministre des armées a été de dire que ce sont des licences de réexportation qui avaient été accordées mais on a du mal à croire qu'en ce moment, ils vont revendre ces armes.
Quelques semaines auparavant, le ministre avait aussi indiqué que les armes étaient uniquement exportées pour la défense mais nous nous demandons ce que veut dire se défendre pour une armée activement coloniale depuis 75 an.
Par ailleurs, Eurolinks fait sa communication publique sur le fait qu'ils ont envoyé des armes dans les années 60 pendant les guerres d'indépendance de l'Algérie et d'Indochine. Ce n'est pas une nouvelle pratique pour eux de faire du business sur la colonisation.
Eurolinks se vante d'être « le seul producteur de liens en France depuis le début des années 1980 », qu'est-ce que ça signifie ? "Producteur de liens", une mauvaise blague ?
Ces liens ce sont les maillons qui servent à tenir les balles entre elles pour une ceinture de mitrailleuse. Ces maillons sont des composants indispensables pour tirer avec une mitrailleuse. Eurolinks est donc spécialiste de ce produit. Au début, on se demandait ce qu'ils fabriquaient comme composants, on ne comprenait pas car évidemment, on n'est pas des spécialistes des armes de guerre.
Ce qui nous intéressait dans cette mobilisation c'était aussi de dire que le commerce de la guerre ce n'est pas seulement des grands fusils, des grandes mitraillettes qui sortent directement de l'usine et sont envoyés par bateaux, c'est aussi une série de petites entreprises et de petits produits.
Ici c'est une entreprise relativement petite, soixante-dix salariés. Et on peut aussi agir sur des petites entreprises. Les ennemis de la paix ne sont pas seulement Thales, Safran, Atos,...
Comment s'est monté le collectif marseillais qui milite contre l'industrie de l'armement dans les Bouches-du-Rhône ?
Il y a eu un appel du comité local des Soulèvement de la terre 13 qui travaillait avec les journalistes qui ont publié l'enquête dans Marsactu et Discolse. Le comité a aussi été à l'initiative d'une assemblée inter-organisations qui a appelé au rassemblement.
L'idée consistait à aller devant Eurolinks fin mars. Nous avons été surpris du nombre de collectifs qui ont répondu présent, près d'une trentaine se sont mis d'accord sur la signature du texte, qui est une critique de l'impérialisme et du sionisme tout en étant dans le soutien des travailleurs. D'autres collectifs ont appelé à soutenir et sont venus mais sans forcément signer. On a fait des réunions toutes les semaines, il y avait un groupe sur la communication, un groupe de tractage, un autre sur l'organisation du jour-même, encore un autre qui faisait le lien avec le quartier.
Le lien avec le quartier est parfois oubliée dans les collectifs militants.
Cela nous semblait important, il y avait déjà eu une mobilisation en 2021. Les habitants ne voulaient pas que l'entreprise s'installe. A Pointe rouge, où l'entreprise était précédemment, il y avait déjà eu des plaintes. Beaucoup de gens se sentaient méprisés par le fait que l'entreprise déménage de Pointe Rouge pour aller dans le 13ème vers un quartier plus populaire.(1)
La mobilisation de la semaine passée a-t-elle entrainé des réactions de politiques et de médias ?
On a eu des articles dans la presse locale, La Provence, La Marseillaise. Sur BFM Marseille, ils ont été assez corrects, sauf sur le nombre de manifestants. Ils annonçaient 100 personnes sur X alors que le reportage dit explicitement "Il y a 600 manifestants". Mais il faut reconnaître, toute cette presse générale, a plutôt bien relaté l'essentiel : le caractère pluriel/inter-organisations, l'enquête de Disclose et la volonté de dénoncer la culpabilité de l'État. Il y avait sur place également des personnes pour Orient XXI et Le Courrier de Genève.
L'enquête de Disclose et Marsactu a généré une réponse très rapide du ministère des armées. Cet empressement à nous répondre a prouvé qu'ils étaient très mal à l'aise avec les révélations sur les armes.
Vendredi passé une proposition de résolution à l'ONU était déposée, au niveau du Conseil des Droits de l'Homme. Elle consistait à décider d'un embargo sur l'envoi d'armes en Israël. Et la France s'est abstenue, c'est évidemment scandaleux ! Les Etats-Unis et Allemagne ont eux voté contre cette résolution.
Quelles sont les suites pour le collectif?
Il y a un appel à continuer les actions militantes, le moyen parlementaire est seulement un moyen parmi d'autres, comme le recours juridique, l'action directe, les liens avec les ouvriers,...
Il n'y a pas que Eurolinks, les réflexions sont en cours au niveau du collectif sur les différentes manières de pointer d'autres entreprises.
On peut remarquer au niveau militant qu'on a tout de même initié une ligne nationale, autant au niveau parlementaire, qu'au niveau militant local, personne n'avait réussi à faire ça. Je pense qu'on a servi d'exemple, tant pour des organisations plus autonomes que de gauche parlementaire, qui est partie sur la question de l'embargo. Et des dynamiques plus autonomes se créent aussi sur cette question.
En effet, dans les manifestations pour la Palestine on ne voit pas forcément une composition aussi diversifiée.
La réussite c'est clair que c'est la composition, avec une pluralité et diversité d'opinions, de cultures politiques. Peut-être car le comité local Soulèvement de la Terre a une position médiatrice, rassembleuse, on est un peu nouveaux dans la lutte contre l'impérialisme, hors des conflits historiques entre les collectifs. C'est très important pour nous de travailler avec tout le monde. Quand on est là depuis longtemps, c'est plus difficile.
Les discussions au sein du collectif se sont-elles élargies ? alors que Macron qui veut envoyer des armes en Ukraine par exemple ?
La question plus large que cela soulève, c'est la militarisation de la France et la lutte plus générale antimilitariste mais le point de vue n'est pas forcément unifié sur le sujet au sein des trente organisations. Il était question un moment de faire le lien avec l'envoi de forces en Ukraine, avec les lycéens, c'est difficile de trouver un commun accord. Mais on voulait rester sur le prisme de la Palestine.
La critique de l'impérialisme français, c'est la critique d'une économie dont on jouit, même si on peut être précaires, on peut être racisé-e-s, on bénéficie de ce business. Il faut souligner que l'on ne pourrait pas vivre dans l'opulence sans ces guerres coloniales si sanglantes. Il y a aussi un processus d'accaparement des ressources, des terres. Il n'y a pas de colonisation sans accumulation de capital.
L'autre chose importante, c'est de dessiner des lignes sur la question d'écologie et la question décoloniale, des personnes en France travaillent à penser l'accaparement des terres et des ressources en discussion avec des collectifs décoloniaux, antiracistes, antifascistes en cherchant à les croiser au niveau théorique et au niveau pratique. Nous souhaitions participer à la construction de stratégies d'alliances pour le long terme et qu'il y ait ce jour-là des collectifs écologistes en manifestation avec des collectifs antiracistes ou antifascistes.
(1) « Eurolinks a déménagé l'essentiel de son activité de production dans cette usine de 4000 m² il y a deux ans, même si son siège social est toujours au 15, boulevard Richard, son site historique à la Pointe-Rouge » font remarquer disclose et marsactu