08/12/2025 reseauinternational.net  6min #298371

Quand les signaux faibles se synchronisent, la prise de conscience s'accélère

par Serge Van Cutsem

Alors que les discours officiels persistent à minimiser les dérives en cours, un phénomène inattendu se produit : des voix venues d'horizons totalement différents décrivent désormais la même réalité, avec les mêmes mots. Cette synchronisation spontanée des «signaux faibles» révèle qu'une prise de conscience collective est en train d'émerger, tardive, certes, mais désormais impossible à étouffer.

Intellectuels, ingénieurs, philosophes, journalistes indépendants, médecins, artisans, citoyens lucides, et désormais un triple docteur, une actrice internationale, une journaliste citoyenne : tous, littéralement tous, observent la même mécanique à l'œuvre. Aucune collusion, aucune coordination. Simplement la convergence spontanée de ceux qui voient. Et quand un scientifique, une artiste et une journaliste, trois sensibilités radicalement différentes, utilisent les mêmes mots pour décrire ce qui se passe, c'est que la réalité devient trop visible pour être dissimulée.

Dans leur dernier échange, un détail a frappé : la généralisation d'un langage médico-militaire absurde, signe ultime d'un pouvoir qui confond narration sanitaire et logique guerrière. On parle désormais de «frappes préventives» comme de «frappes prophylactiques». Une «frappe vaccinale», selon la formule ironique, mais terriblement juste, de Béatrice Rosen. L'État semble avoir intégré l'idée que le peuple doit être «traité», «corrigé», «préparé», qu'il faut intervenir avant que la menace ne se matérialise, sur le même modèle que les injections massives présentées jadis comme des actes préventifs pour le bien commun. Quand un pouvoir en vient à médicaliser la guerre et militariser la santé, on ne parle plus d'erreurs politiques : on parle d'un système en basculement, mais n'a-t-il pas déjà basculé ?

À cela s'ajoute un phénomène central de notre époque : la gorafisation du réel, ce brouillage volontaire du vrai et du faux qui rend impossible la compréhension du monde. Les nouvelles les plus délirantes ressemblent à des satires ; les faits les plus graves sont traités comme des anecdotes. L'objectif est transparent : créer un environnement où l'esprit renonce à distinguer le réel du narratif. Amélie Ismaïli l'a parfaitement formulé : «Je ne suis même plus choquée». Et cela c'est le signe qu'un seuil psychologique a été franchi.

C'est là que le gaslighting d'État entre en jeu : faire douter les citoyens de leur propre perception, inverser les responsabilités, présenter la réaction saine comme la pathologie. Un pouvoir qui vous dit que la pluie n'est pas la pluie, que ce que vous avez vu n'est pas ce qui s'est passé, que la cohérence est complotiste, que l'évidence est subversion, c'est un pouvoir qui a renoncé à la vérité au profit de la manipulation structurelle.

Ce brouillage n'est pas une conséquence accidentelle : il est devenu un mode de gouvernance. L'émission le souligne avec une précision glaçante : tous les corps sociaux encore capables de produire un contre-discours ont été décrédibilisés méthodiquement : Les médecins pendant la crise sanitaire, les véritables scientifiques concernant le climat, les militaires sur le conflit ukrainien, les diplomates sur la géopolitique, les journalistes sur tout le reste. Cette stratégie de démolition progressive des corps intermédiaires est l'exact miroir de ce que faisait la Pravda : non pas dire «voici la vérité», mais détruire la possibilité même du vrai.

J'aimerais faire une petite parenthèse à ce sujet. Du temps de l'URSS les citoyens russes n'avaient aucun accès aux informations occidentales, ils étaient soumis à la Pravda. Mais attention : la traduction de pravda (правда) est «vérité», mais aussi «justice», «droiture». Bref, tout un programme. En 2025, nous n'avons plus accès aux informations russes mais les citoyens russes ont accès aux informations occidentales. Beaucoup expliquent «On connaît très bien le point de vue occidental, on le lit tous les jours et ce que nous trouvons bizarre, c'est que l'Occident n'a pas accès à notre point de vue».

Sortons de cette parenthèse...

Lorsque la frontière entre vérité et mensonge se dissout, la population devient malléable. Le système peut alors imposer sans résistance ce que les sciences sociales appellent un abaissement du seuil de tolérance. Plus les déclarations sont folles, plus les décisions sont déraisonnables, moins elles choquent. Le pouvoir teste la réaction publique, si personne ne bronche, il avance d'un cran. Le choc a laissé place à la résignation, la résignation laisse place à l'habitude et l'habitude prépare l'obéissance.

À ce stade, la guerre psychologique n'est plus une hypothèse : c'est une réalité. L'État manipule le récit en amont, infiltre le débat en aval, et occupe le terrain numérique comme on occupe militairement un territoire. Les révélations sur les fermes à trolls institutionnelles, sur les influenceurs pilotés par le Quai d'Orsay, sur le Fond Marianne utilisé pour financer de la propagande électorale, prouvent que les opérations psychologiques ne sont plus dirigées contre des puissances étrangères mais contre la propre population. Jamais une démocratie authentique ne mobilise ses appareils pour façonner artificiellement l'opinion de ceux qu'elle est censée servir.

Dans un tel contexte, voir trois personnalités que tout oppose, un docteur en neurosciences et économie de la connaissance, une actrice lucide travaillée par la sensibilité artistique, une journaliste indépendante aguerrie à la décortication des narratifs, aboutir exactement au même diagnostic n'est pas un détail : c'est un signe historique. Les sciences cognitives le connaissent bien : lorsqu'un même signal faible apparaît simultanément dans des esprits non connectés entre eux, c'est le signe qu'une rupture de régime se produit sous la surface.

Une dystopie cesse d'être une fiction le jour où des personnes qui n'ont aucun lien entre elles commencent à décrire exactement la même réalité, et ce jour est arrivé.

Chaque nouvelle loi réduit la liberté, chaque réforme numérique renforce le contrôle, chaque crise sert de prétexte à une nouvelle restriction, chaque décision européenne éloigne le citoyen de sa souveraineté, chaque manipulation médiatique élargit la zone grise entre vrai et faux.

Toutes ces pièces formaient hier encore un puzzle incompréhensible et aujourd'hui, elles dessinent une image parfaitement lisible.

Le premier acte de lucidité consiste à reconnaître ce que tant de voix décrivent désormais en même temps : la dystopie n'est plus un scénario, c'est un diagnostic partagé, transversal, irréfutable.

Et c'est précisément parce qu'il est partagé qu'il marque le début, enfin, d'une prise de conscience générale.

 Serge Van Cutsem

 reseauinternational.net