
par Alain Marshal
Les vols d'organes pratiqués par Israël sur des Palestiniens assassinés par l'armée d'occupation sont documentés depuis plusieurs décennies (voir ces articles de L'Humanité, du Guardian ou plus récemment d' Euro-Med Monitor). Pourtant, alors que les récents échanges de prisonniers et de dépouilles ont remis ce sujet au cœur de l'actualité, les rédactions occidentales persistent dans leur silence assourdissant, y compris Mediapart que nous scrutons ici.
Ce mutisme contraste avec le traitement des atrocités imputées au Hamas. Les allégations de bébés décapités ou de viols massifs le 7 octobre, falsifications médiatisées à outrance sur la seule base des déclarations d'une puissance occupante qui avait déjà perdu toute crédibilité, avaient fait l'objet d'une exposition immédiate et sensationnaliste.
Ainsi, Mediapart avait mobilisé une rhétorique de l'horreur : titre choc (« Massacres dans deux kibboutz : «Ils ont assassiné de sang-froid des enfants, des gens âgés»») «Mise en garde» au lecteur («Cet article fait état de récits détaillés de violences, sa lecture peut être choquante»), mention de «scènes d'horreur» qui «suscitent l'effroi», immersion sensorielle («une odeur de mort régnait»), voix israéliennes chargées d'émotion et d'accusations hyperboliques («Il est très difficile pour moi de décrire ces horreurs, cette apocalypse», «Ce qui se passe actuellement en Israël, c'est la découverte de l'atrocité de massacres commis pendant deux jours par les terroristes islamistes du Hamas, dont le carnage du kibboutz de Bee'ri», «Des centaines d'hommes, femmes et enfants ont été massacrés, déchiquetés, décapités par des hommes fous de haine».), etc. Le président américain Joe Biden, qui avait qualifié l'attaque de «mal à l'état pur», voyait ses propos déshumanisants promus au rang de titre de section, et ses déclarations incendiaires concluaient l'article sans appel : «La brutalité du Hamas assoiffé de sang nous rappelle les actes les plus horribles de [Daech]. Il s'agit de terrorisme qui, malheureusement, n'est pas nouveau pour le peuple juif. Cette attaque évoque des souvenirs douloureux, les cicatrices de mille ans d'antisémitisme et de génocide». Rachida El Azzouzi, auteure de cet article, en a publié d'autres dans une veine similaire (« Otages civils aux mains du Hamas : «Du jamais-vu dans l'histoire d'Israël»», « Du kibboutz Bee'ri à Tel-Aviv, le calvaire de la famille Tamir», « Guerre au Proche-Orient : pour la famille Tamir, le 7 octobre, «un jour toujours en cours»», « En Israël, le désarroi et la colère des familles d'otages»).
Dans un autre article signé Mathieu Dejean et Fabien Escalona, Mediapart citait «un universitaire suivant de près ces questions» qui dénonçait LFI en ces termes : «Ils ont manqué le fait qu'il y a des degrés dans l'horreur, et que le non-respect des corps morts de civils, par exemple, dit quelque chose de la disposition du Hamas envers ses adversaires». «David Khalfa, spécialiste du Proche-Orient à la Fondation Jean-Jaurès» soulignait pour sa part «la cruauté, le sadisme avec lequel les miliciens du Hamas se sont comportés». Pourquoi les prétendues lumières de cet universitaire anonyme et de David Khalfa n'ont-elles pas été sollicitées à nouveau au sujet des cadavres de civils palestiniens torturés, mutilés, parfois méconnaissables et rendus sans aucune identification par Israël, condamnant les familles de disparus à des souffrances sans fin ?
De même pour les accusations de viols, où les preuves de part et d'autre sont inversement proportionnelles à leur exposition médiatique. Au sujet du Hamas, plusieurs articles catégoriques ont été relayés par Médiapart (« Israël : des violences sexuelles systématiques dans les attaques du 7 octobre (rapport)», « Il existe de «bonnes raisons de croire» que des viols ont été commis lors de l'attaque du Hamas, selon l'ONU», « L'UE sanctionne le Hamas pour violences sexuelles lors de l'attaque du 7 octobre») ou rédigés par Rachida El Azzouzi (« Crimes sexuels du Hamas : derrière les polémiques, la réalité d'une arme de guerre», « Un rapport de l'ONU confirme des crimes sexuels du Hamas le 7 octobre», « 7 octobre : «contre la distorsion et l'oubli», l'arme du journalisme»), alors que les preuves en sont douteuses, comme le démontre la réfutation magistrale du professeur Norman Finkelstein dans un article que nous avons traduit. Quant aux violences sexuelles contre les détenus palestiniens, systémiques et bien plus assimilables à une «arme de guerre», étant filmées, assumées par les soldats qui les ont perpétrées et par des députés qui soutiennent à la Knesset le droit d'enfoncer des tiges de fer dans le rectum des suspects, ayant fait l'objet de manifestations d'Israéliens défendant le droit au viol, et impliquant jusqu'à des chiens policiers utilisés pour violer des prisonniers, sauf erreur, elles n'ont pas fait l'objet d'articles à part voire n'ont guère été mentionnées (sinon en deux mots pudiques dénués de toute explication, «v iolences sexuelles»), pas plus que le rapport accablant de l'ONU à leur sujet (nous avons commencé à le traduire ici).
Bien que les preuves s'accumulent autour des actes de torture, des mutilations et des prélèvements d'organes sauvages commis par l'État israélien, étayés par des rapports d'ONG, des témoignages de familles et même des aveux institutionnels, ces informations peinent à franchir le seuil des rédactions. L'état effroyable de 135 cadavres récemment restitués par Israël dans le cadre de l'accord de cessez-le-feu avec la Résistance palestinienne a été expurgé du titre d'une section de fil d'actualité qui leur été consacrée par Le Monde et relégué au 9ème paragraphe d' un article généraliste sur Mediapart, qui bannit les termes «tortures», «mutilation» ou «exécution» au profit d'une formulation feutrée : «les poignets et les mains liés, avec des bleus et écorchures ainsi que des traces de tirs dans la poitrine et à la tête» (voir « Otages palestiniens torturés et exécutés : «l'Occident civilisé» détourne le regard»). Quant à la pratique du vol d'organes, elle est tout simplement introuvable.
Car dans l'ordre médiatique occidental, certaines réalités demeurent indicibles. Celles qui remettent en cause le récit dominant sur Israël et révèlent son visage hideux, dissimulé depuis la création de cette entité par d'innombrables artifices, sont systématiquement éclipsées, ou reléguées au rang de rumeur infondée (voire «antisémite»). Ce qui devrait faire l'objet d'enquêtes rigoureuses et d'articles incandescents devient un non-sujet, une ligne rouge éditoriale.
Ce double standard est le reflet d'un parti pris structurel qui, sous couvert de neutralité et d'objectivité, au nom d'une volonté d'équilibre inexistante pour la guerre en Ukraine, et indéfendable s'agissant d'un conflit entre une puissance nucléaire occupante jouissant du soutien total de l'Occident et une population assiégée, exterminée et abandonnée de (presque) tous, valide une hiérarchie de plus en plus explicite de la souffrance et de la dignité humaines.
Dans un article publié le 30 septembre 2024 ( Crimes israéliens, complicité occidentale), Joseph Confavreux écrivait (c'est nous qui soulignons) :
«Certes, d'un point de vue anthropologique, le théâtre de la cruauté déployé par le Hamas durant les massacres d'octobre dernier n'est pas similaire, terme à terme, avec les actes commis par l'armée israélienne depuis un an. Et le principe inaliénable qu'une vie vaut une vie n'est pas incompatible avec l'idée que la seule balance macabre des cadavres de l'un et de l'autre camp ne suffit pas à saisir les souffrances en jeu».
Face au tollé légitime suscité par cette formulation nauséabonde, alors qu'Israël perpétrait depuis un an un génocide sans précédent à Gaza et venait de lancer des frappes massives contre le Liban, ainsi qu'un attentat terroriste de masse contre des bipeurs & talkies-walkies (opération initialement qualifiée de «coup de génie» par Confavreux), tuant des centaines de civils et en blessant des milliers au prétexte de frappes «ciblées» contre le Hezbollah, prélude d'une nouvelle guerre meurtrière contre le Liban, Mediapart a reformulé ce paragraphe pour lui faire dire (en apparence) autre chose que ce qu'il disait :
«De même que le 7 octobre ne peut pas justifier l'ampleur de la violence à Gaza et au Liban, celle-ci ne peut pas être un motif pour minimiser la gravité des massacres commis ce jour-là. Les façons de mettre à mort, les projets plus larges dans lesquels les meurtres s'inscrivent, l'intentionnalité de tuer des civils, la volonté d'effrayer et/ou d'éliminer une population sont aussi à prendre en compte. Tout ne se mesure pas avec le décompte macabre des cadavres».
Le tout quelques jours après la nomination d'une responsable éditoriale aux éventuels biais racistes sur Mediapart (Sabrina Kassa) sans admettre la moindre faute ou maladresse, accusant au contraire, en «Boîte noire», l'incompréhension ou la malveillance supposées des lecteurs («Deux phrases de ce texte n'instaurant aucune hiérarchie entre les vies palestiniennes et israéliennes pouvaient prêter à ambiguïté, si elles étaient intentionnellement ou involontairement mal lues. Elles ont donc été précisées après publication».). Pourtant, les crimes israéliens, tant en quantité (nombre de victimes) qu'en qualité («théâtre de la cruauté», «façons de mettre à mort», «degrés dans l'horreur», raffinement de «sadisme» et de «cruauté», n'en déplaise à Mediapart, à l'illustre universitaire anonyme et à David Khalfa, cités plus haut), surpassaient déjà infiniment ceux allégués du 7 octobre - quand bien même tous les mensonges auraient été vrais -, neutralisant les prétendus effets de la commensurabilité géométrique (et non simplement arithmétique) que semblait instaurer Confavreux. Est-ce pour ne pas ébranler ce postulat de principe que les pires atrocités israéliennes ne sont jamais rapportées et/ou détaillées ?
Pourquoi Mediapart ne consacre-t-il pas d'article, côté palestinien, aux bébés prématurés cruellement étouffés dans leur couveuse, aux nourrissons morts de froid ou dévorés par des chiens errants, au nombre incroyable d'enfants abattus d'une balle dans la tête (aucune mention dans l'article intitulé À Gaza, la guerre d'Israël contre les enfants palestiniens), à ces deux autres enterrés vifs, au jeune homme trisomique déchiqueté par un chien policier qui l'attaqua sauvagement en présence de sa famille, tenue à l'écart puis évacuée par l'armée tandis que le blessé était abandonné à une mort atroce, aux drones qui diffusent des pleurs d'enfants pour attirer des Palestiniens et les abattre, aux amputations d'enfants causées par des boîtes de conserve piégées & jouets truffés d'explosifs que laissent les soldats israéliens après s'être retirés (une pratique documentée dès 1997 au Liban, un précurseur du «coup de génie» de l'attentat aux bipeurs), aux otages palestiniens bardés d'explosifs par l'armée israélienne et forcés d'inspecter des bâtiments, aux dépouilles de Palestiniens en Cisjordanie profanées par des actes de mutilation ou déshabillés complètement par des colons qui se filment leur urinant dessus, à toutes les orgies de sauvagerie et de perversité que les soldats documentent fièrement sur Tiktok (notamment les défilés de soldats vêtus de lingerie féminine, s'amusant avec des jouets ou les exhibant en guise de trophées, dans les décombres des maisons des femmes et enfants qu'ils ont assassinés, terrorisés et/ou expulsés), se pavanant dans les studios TV pour se vanter, sous les applaudissements, de leurs crimes les plus ignobles ? Est-ce pour sauvegarder la légitimité du projet sioniste, raciste et génocidaire, que cette déchéance morale sans retour de toute une société est occultée, les massacres et le nettoyage ethnique étant largement approuvés en Israël, et que les errements, zones d'ombre et angles morts (en particulier la « directive Hannibal de masse» déployée le 7 octobre et les jours suivants) ne sont pas corrigés ? Que ce soit à Gaza où dans les colonies qui l'entourent et la suffoquent, lorsqu'il s'avère que ce sont des missiles israéliens qui les ont causées, les descriptions choquantes de scène macabres « insoutenables» perdent-elles tout leur attrait morbide ? Si toutes ces horreurs ne sont que de la «propagande pro-Hamas» et des «fake news», comme le prétendent l'occupant et ses zélotes, pourquoi ne pas les «fact-checker» ? Le silence même est un aveu.
Mark Regev, ex-porte-parole de Netanyahou : « Si les morts israéliens du 7 octobre sont passés de 1400 à 1200, c'est que 200 corps carbonisés appartenaient au Hamas. »Carbonisés par Israël qui a tiré sur tout ce qui bouge, massacrant Israéliens & Palestiniens #DoctrineHannibal t.co
- Alain Marshal (@AlainMarshal2) October 26, 2025
Quoi qu'il en soit, après deux ans d'extermination méthodique des Palestiniens par Israël, qui n'étaient certes pas une « guerre de riposte au 7 octobre», n'en déplaise à Edwy Plenel, mais bel et bien un génocide visant à parachever le nettoyage ethnique initié en 1948 et en 1967, toutes les digues rhétoriques ont cédé, et tous les masques sont tombés. Aux yeux de «l'Occident civilisé», ou plutôt, selon les mots de Francesca Albanese, de cet Occident où la civilisation s'est effondrée, 40 bébés israéliens décapités dans la seule imagination putride des propagandistes pèsent plus que les dizaines de milliers de femmes, d'enfants et de nourrissons palestiniens déchiquetés deux années durant, en direct et en 4K, par la barbarie israélienne.
source : Alain Marshal