Par Guy Mettan
Photo de l'Olympiastadion Berlin, construit à l'origine pour accueillir les Jeux olympiques d'été de 1916. SIPA
Ce qu'il y a de bien avec l'âge, c'est qu'on n'a plus besoin de se soucier du qu'en dira-t-on et qu'on peut dire ce qu'on pense sans craindre les mesures de rétorsion et d'ostracisme qui frappent habituellement les opinions divergentes. Or donc il conviendrait de se pâmer d'admiration pour la cérémonie d'inauguration des Jeux de Paris, qui aurait porté à des sommets inégalés le talent et le génie créatif français. 85 % des Français et la presse internationale quasi unanime, nous assure-t-on, auraient trouvé ce spectacle très réussi.
Désolé, mais vous pouvez préparer vos tomates car je me classe dans les 15% de grincheux, de pisse-froid, de peine-à-jouir, de réactionnaires, pire d'extrême-droitistes, qui ont trouvé cette cérémonie d'ouverture peu convaincante et souvent grotesque.
Non pas parce qu'elle aurait comporté des scènes choquantes, mais parce que, au contraire, elle fut confondante de conformisme niais, et tant elle se contenta d'aligner les poncifs de l'époque comme des noix sur un bâton.
Premier cliché: la haine du beau, déclinée sous toutes ses formes. On sait depuis au moins trente ans, depuis que l'art contemporain a imposé le mépris absolu de l'esthétique, que le Beau est à proscrire dans la culture contemporaine occidentale. Seul le trash, le kitsch, le gros, le gras et le sale, l'informe et le défiguré, l'immonde parfois, les fœtus desséchés de poulains morts, les cadavres humains aux muscles caramélisés, trouvent grâce aux yeux de l'élite culturelle new-yorkaise et germanopratine. Toute référence au Beau est derechef frappée de nullité, et pire, de ringardise petite-bourgeoise.
Idem pour le Sens. Tout ce qui pourrait faire sens, symbole, métaphore éclairante, histoire signifiante, référence à un passé commun, élévation spirituelle, dépassement de soi, est proscrit. C'est ainsi qu'on a eu droit à un défilé de mode kitschissime, une dernière Cène (ou à un Festin des Dieux comme on voudra) si déconstruite et déstructurée qu'elle ne voulait plus rien dire, à des danses qui n'étaient que des contorsions acrobatiques, une cavalcade avec un cheval mécanique qui ressemblait à un véhicule de Transformer hollywoodien monté par une écuyère au chaperon ridicule histoire d'éviter toute ressemblance avec Jeanne d'Arc, et même à des statues de femmes d'une laideur affligeante. A l'annonce de cette scène, lourdement et pompeusement baptisée « sororité », on aurait pu s'attendre à une sorte de célébration des femmes qui ont marqué l'histoire de France. Mais non, on s'était soigneusement appliqué à les défigurer, à les enlaidir et à les ridiculiser en les coulant dans un bronze doré de très mauvais goût. Olympe de Gouges, Gisèle Halimi, Simone Veil, Louise Michel, femmes d'exception, apparaissaient rabougries, contrefaites, sans grâce.
Dernière banalité déclamée sur tous les tons, l'inclusion. On s'est ainsi félicité de ce spectacle si inclusif, qui faisait la part si belle à la diversité et aux minorités de genre et de race (mot à proscrire). Ainsi les beaux esprits n'ont-ils pas eu de mots assez louangeurs pour vanter la performance « inoubliable » de la chanteuse africaine Aya Nakamura devant la Garde républicaine. Peut-être, quoiqu'on ait déjà eu l'occasion de voir ce genre de contraste mille fois à la scène. Dans tous les cas, on l'a fait avec une volonté si évidente de provoquer « l'extrême-droite » et, avec la parodie de la dernière Cène, d'exclure les majoritaires, les Blancs, les hétérosexuels, les binaires, les cisgenres, les Français et Françaises de province, qu'on a fini par n'honorer que les représentants des minorités les plus marginales, femmes à barbes et hommes en soutien-gorges, au détriment des autres, qui forment pourtant 95% de la population. Si l'on ajoute à cela les Russes et les Biélorusses exclus des Jeux et qui n'ont même pas eu droit à une mention alors que les Israéliens qui ont massacré trois fois plus de civils en Palestine ces derniers mois étaient encensés par l'establishment politico-médiatico-culturel, ainsi que les centaines de millions de personnes qui se sont senties offensées de par le monde parce qu'on leur imposait un spectacle contraire à leurs croyances, on reconnaîtra que le qualificatif d'inclusif pour cet événement parait largement usurpé.
Les médias internationaux, qui des Etats-Unis à la Chine en passant par les pays arabes et africains, ne s'y sont en tout cas pas trompés, qui ont marqué leur stupéfaction, sinon leur irritation.
Mais soyons beau joueur et reconnaissons que, sur les trois heures et quelque de ce spectacle somme toute banal et ennuyeux, des moments de grâce ont miraculeusement échappé aux censeurs de l'esthétique dominante. Les chanteuses Axelle Saint-Cirel, Céline Dion, malgré ou grâce à sa maladie, et la ville de Paris avec son décor somptueux, nous ont offert de merveilleux moments de beauté et d'émotion. De même, la délégation algérienne, avec le jet de roses dans la Seine pour commémorer le massacre de leurs compatriotes en 1961, a brièvement fait resurgir la tragédie au coeur de ce carnaval dépourvu d'âme. Honneur à elles et à eux.
Par Guy Mettan, journaliste indépendant