Les attaques du Hamas en Israël le 7 octobre et la réponse militaire des forces israéliennes à Gaza ont mis le système du droit international à rude épreuve, le repoussant jusqu'à ses limites. C'est pourquoi, en tant qu'avocats internationaux, nous nous sommes sentis obligés d'apporter notre aide lorsque le procureur de la Cour pénale internationale, Karim Khan, nous a demandé de déterminer s'il existait des preuves suffisantes pour porter des accusations de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. Aujourd'hui, le procureur a franchi une étape historique pour que justice soit rendue aux victimes en Israël et en Palestine en émettant des demandes pour cinq mandats d'arrêt alléguant des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité commis par de hauts dirigeants du Hamas et d'Israël. Il s'agit notamment de demandes de mandat d'arrêt contre les commandants politiques et militaires du Hamas et contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu.
Source : Financial Times
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
De la fumée s'élève à Jabalia, dans le nord de la bande de Gaza, après une frappe aérienne israélienne la semaine dernière © ATEF SAFADI/EPA-EFE/Shutterstock
PANEL D'EXPERTS EN DROIT INTERNATIONAL
Par Lord Justice Fulford, Theodor Meron CMG [Décoré de l'Ordre de Saint Michel et Saint George, NdT], juge, Amal Clooney, de Danny Friedman KC [Conseil du Roi, NdT], de la baronne Helena Kennedy LT KC, d'Elizabeth Wilmshurst CMG KC.
Pendant des mois, nous nous sommes engagés dans un processus approfondi d'examen et d'analyse. Nous avons examiné attentivement chacune des demandes de mandats d'arrêt, ainsi que les documents produits par l'équipe de l'accusation à l'appui de ces demandes. Il s'agit notamment de déclarations de témoins, de preuves d'experts, de communications officielles, de vidéos et de photographies. Dans notre rapport juridique publié aujourd'hui, nous convenons à l'unanimité que le travail du procureur a été rigoureux, équitable et fondé sur le droit et les faits. Et nous convenons à l'unanimité qu'il existe des motifs raisonnables de croire que les suspects qu'il a identifiés ont commis des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité relevant de la compétence de la CPI.
Il n'est pas rare que le procureur invite des experts externes à participer à l'examen des preuves, dans le cadre d'accords de confidentialité appropriés, au cours d'une enquête ou d'un procès. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois qu'un procureur international constitue un groupe d'experts pour donner son avis sur des accusations potentielles liées à un conflit. Mais ce conflit est peut-être sans précédent dans la mesure où il a donné lieu à des malentendus sur le rôle et la compétence de la CPI, à un discours particulièrement fracturé et, dans certains contextes, même à de l'antisémitisme et à de l'islamophobie.
C'est dans ce contexte que, en tant que juristes spécialisés en droit international et issus d'horizons personnels divers, nous avons estimé qu'il était de notre devoir d'accepter l'invitation à fournir un avis juridique impartial et indépendant, fondé sur des preuves. Nous avons été choisis en raison de notre expertise en droit international public, en droit international des droits de l'homme, en droit international humanitaire et en droit pénal international et, pour deux d'entre nous, en raison de notre expérience en tant qu'anciens juges de tribunaux pénaux internationaux. Notre objectif commun est de faire progresser l'obligation de rendre des comptes et nous sommes parvenus à nos conclusions sur la base d'une évaluation des demandes de mandat au regard d'une norme juridique objective. Nous sommes parvenus à ces conclusions à l'unanimité. Et nous pensons qu'il est important de les publier compte tenu de l'ampleur de la politisation du discours, de la désinformation et de l'impossibilité pour les médias internationaux d'accéder aux lignes de front.
Le groupe d'experts approuve à l'unanimité la conclusion du procureur selon laquelle il existe des motifs raisonnables de croire que trois des plus hauts dirigeants du Hamas, Yahya Sinwar, Mohammed Deif et Ismail Haniyeh, ont commis des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité pour le meurtre de centaines de civils, la prise d'au moins 245 otages et les actes de violence sexuelle commis à l'encontre d'otages israéliens. Le groupe d'experts convient également à l'unanimité que les preuves présentées par le procureur fournissent des motifs raisonnables de croire que Netanyahou et le ministre israélien de la défense, Yoav Gallant, ont commis des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Il s'agit notamment du crime de guerre consistant à affamer intentionnellement des civils comme méthode de guerre, ainsi que du meurtre et de la persécution de Palestiniens en tant que crimes contre l'humanité. Les raisons pour lesquelles nous sommes parvenus à ces conclusions sont exposées dans notre rapport juridique.
Il est important de comprendre que les accusations n'ont rien à voir avec les raisons du conflit. Les accusations concernent la conduite de la guerre d'une manière qui viole les règles établies de longue date du droit international qui s'appliquent aux groupes armés et aux forces armées de tous les États du monde. Et, bien sûr, les demandes de mandats annoncées aujourd'hui ne sont qu'une première étape. Nous espérons que le procureur continuera à mener des enquêtes ciblées, notamment en ce qui concerne les dommages considérables subis par les civils à la suite de la campagne de bombardements à Gaza et les preuves de violences sexuelles commises à l'encontre d'Israéliens le 7 octobre.
Il ne fait aucun doute que la mesure prise aujourd'hui par le procureur constitue un jalon dans l'histoire du droit pénal international. Aucun conflit ne doit être exclu du champ d'application de la loi, aucune vie d'enfant n'a moins de valeur qu'une autre. Le droit que nous appliquons est le droit de l'humanité, et non le droit d'un camp donné. Il doit protéger toutes les victimes de ce conflit et tous les civils des conflits à venir.
Les juges de la CPI détermineront en dernier ressort quels mandats doivent être délivrés, le cas échéant. Au fur et à mesure que les enquêtes se poursuivent, nous espérons que les autorités nationales, les témoins et les survivants s'engageront dans le processus judiciaire. Enfin, nous espérons que ce processus contribuera à renforcer la protection des civils et à instaurer une paix durable dans une région qui a déjà trop souffert.
Lord Justice Fulford, juge de la Cour d'appel à la retraite, ancien vice-président de la Cour d'appel d'Angleterre et du Pays de Galles et ancien juge à la Cour pénale internationale.
Le juge Theodor Meron CMG, professeur invité à l'Université d'Oxford, membre honoraire du Trinity College, ancien juge et ancien président du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie.
Amal Clooney, avocate, professeur adjoint à la Columbia Law School et cofondatrice de la Clooney Foundation for Justice (Fondation Clooney pour la justice)
Danny Friedman KC, avocat, expert en droit pénal, droit international et droits de l'homme
Baronne Helena Kennedy LT KC, avocate, membre de la Chambre des Lords et directrice de l'Institut des droits de l'homme de l'Association internationale du barreau.
Elizabeth Wilmshurst CMG KC, ancienne conseillère juridique adjointe au ministère britannique des affaires étrangères et du Commonwealth et membre éminent de la Chatham House pour le droit international.
Source : Financial Times, 20-05-2024
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises