par Peiman Salehi
Le récent sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à Pékin a attiré l'attention des médias du monde entier. La plupart des journaux occidentaux ont insisté sur le défilé militaire impressionnant organisé par la Chine, y voyant une démonstration de force destinée à affirmer une nouvelle suprématie. Mais réduire l'importance de cet événement à une simple rivalité militaire entre la Chine et les États-Unis est une lecture superficielle. Le véritable message du sommet de Pékin réside dans l'érosion progressive de l'ordre unipolaire dominé par Washington et dans l'émergence d'une architecture multipolaire, en particulier sur le plan économique et financier.
Depuis des décennies, l'hégémonie occidentale ne repose pas uniquement sur la supériorité militaire ou technologique, mais aussi - et surtout - sur la domination financière. Le FMI et la Banque mondiale ont imposé à de nombreux pays du Sud global des «programmes d'ajustement structurel» qui ont détruit les protections sociales, privatisé les biens publics et enfermé les économies dans un cycle de dépendance. Le dollar, présenté comme une monnaie universelle, a été transformé en une arme politique, permettant à Washington d'imposer des sanctions unilatérales qui asphyxient des nations entières, de Cuba à l'Iran, en passant par le Venezuela ou la Syrie.
Face à cette situation, le sommet de l'OCS a marqué une étape importante. Les discussions sur la création éventuelle d'une banque de développement de l'OCS et l'élargissement du commerce en monnaies locales traduisent une volonté claire : mettre fin au monopole occidental sur la finance mondiale. Ces propositions ne sont pas encore des réalités institutionnelles solides, mais elles ouvrent la voie à une concurrence inédite. Dans un monde où il n'existait auparavant qu'un seul créancier et un seul système financier, les nations disposent désormais de la possibilité de choisir.
Pour la Chine et la Russie, cette orientation est une nécessité stratégique. Pékin cherche à transformer son poids économique en puissance globale, tandis que Moscou, frappée par des sanctions massives, n'a d'autre choix que de développer des alternatives. Mais au-delà de ces grandes puissances, c'est l'ensemble du Sud global qui perçoit une opportunité. Pouvoir emprunter sans accepter les conditions politiques de Washington, commercer sans craindre des sanctions, investir sans dépendre des caprices de la Réserve fédérale américaine : tout cela représente une perspective de souveraineté retrouvée.
Bien sûr, il ne faut pas idéaliser. Ni la Chine ni la Russie ne sont guidées par l'altruisme. Les projets d'infrastructures chinois en Afrique ont suscité autant d'espoirs que de critiques, certains y voyant une nouvelle forme de dépendance. Mais l'essentiel n'est pas de savoir si Pékin ou Moscou remplaceront Washington à la tête du système mondial. L'essentiel est que l'ère de l'hégémonie incontestée des États-Unis touche à sa fin et que le monde se dirige vers une pluralité de centres de pouvoir.
Pour les pays du Moyen-Orient, d'Afrique ou d'Amérique latine, ce changement est crucial. L'usage excessif des sanctions et la militarisation du dollar ont poussé de nombreux États à rechercher des solutions alternatives. L'OCS, aux côtés des BRICS, devient un espace où ces alternatives commencent à prendre forme. Même si ces institutions sont encore jeunes, elles offrent la possibilité de négocier de meilleures conditions, de diversifier les partenariats et de rompre avec une dépendance unilatérale vieille de plusieurs décennies.
La presse occidentale continuera sans doute à insister sur les images spectaculaires des défilés militaires et à présenter la Chine comme une menace pour l'ordre mondial. Mais derrière ces récits se cache une réalité que l'on préfère ignorer : la domination occidentale s'effrite. L'ordre international de demain ne sera pas celui d'un nouvel hégémon, mais celui d'un monde multipolaire, fragmenté et contesté, où les nations auront plus d'espace pour affirmer leur souveraineté.
Le sommet de l'OCS à Pékin doit donc être lu comme un signal : le Sud global n'accepte plus d'être prisonnier d'un système conçu à Washington et à Bruxelles. La fin de l'unipolarité n'est pas encore la justice, mais elle en est la condition préalable. À mesure que de nouvelles institutions se mettent en place, la tâche des peuples et des gouvernements sera de veiller à ce que ce monde multipolaire ne reproduise pas simplement de vieilles hiérarchies sous de nouveaux drapeaux, mais devienne un espace de coopération, de dignité et de liberté.