14/03/2025 ssofidelis.substack.com  11min #271703

 Les pays arabes déterminés à contrer la proposition de Trump sur Gaza

Le plan de l'Égypte pour Gaza mis à mal par les rivalités arabes

Par  le correspondant du Cradle en Palestine, le 13 mars 2025

La tentative du Caire de rallier un soutien régional pour la reconstruction de Gaza - et de faire échouer le délire de Trump sur la Riviera - s'est heurtée à divers obstacles : les dirigeants saoudiens et émiratis se montrent hésitants, l'Algérie prend ses distances et Washington dialogue directement avec le Hamas.

La réponse du Caire au plan cynique de Donald Trump pour la Riviera de Gaza - qui exige que l'Égypte et la Jordanie absorbent des centaines de milliers de réfugiés gazaouis - s'est déroulée selon une approche calculée et en plusieurs étapes.

La réponse du Caire au plan Riviera de Gaza scandaleux du président américain Donald Trump - qui exige que l'Égypte et la Jordanie absorbent des centaines de milliers de réfugiés de Gaza - s'est déroulée en plusieurs étapes soigneusement calculées.

La proposition de Trump, brutale et déstabilisante, visait deux États arabes qui ont longtemps maintenu des accords de paix avec l'État d'occupation israélien. La Jordanie, censée porter le plus lourd fardeau, s'est depuis fortement appuyée sur l'Égypte pour se soustraire au plan américain tout en cherchant le soutien de ses alliés de longue date du golfe Persique.

Afin d'enterrer le projet de Riviera, Le Caire s'est efforcé de créer un plan alternatif - une stratégie par étapes - susceptible d'apaiser et de séduire le plus grand nombre de parties prenantes.

La première initiative a été un mini-sommet au plus haut niveau, le 21 février à Riyad, où le président égyptien Abdel Fattah el-Sissi a rencontré le roi Abdallah II de Jordanie, l'émir du Qatar Tamim ben Hamad, le président des Émirats arabes unis Mohammed ben Zayed (MbZ), l'émir du Koweït Cheikh Sabah al-Ahmad Al-Jaber Al-Sabah et le prince héritier du Bahreïn Salman ben Hamad. Cette réunion visait à coordonner une réponse à la crise déclenchée par Trump et à évaluer la volonté collective de la région de résister à la pression américaine.

Quelques jours plus tard, le 26 février, l'Égypte a envoyé à Washington une délégation non officielle d'anciens hommes d'État expérimentés de l'ère Moubarak, où ils ont rencontré des responsables américains actuels et antérieurs, tirant parti de leur profonde compréhension de l'élaboration des politiques américaines pour façonner - ou du moins modifier - la vision de l'administration Trump pour Gaza. Les réunions devaient permettre de tâter le terrain à Washington et d'explorer les ajustements possibles à la stratégie de l'Égypte.

Alors que les tensions s'intensifiaient, le Caire a convoqué un sommet arabe d'urgence le 4 mars, dans l'espoir de rallier le soutien de la région. Mais des dissensions - et conflits d'ego - au sein du camp arabe sont apparues dès le début. Alors que l'émir du Qatar, Tamim, était présent, le roi d'Arabie saoudite, MbZ, et le prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane (MbS), ont décliné l'invitation, n'envoyant que leurs ministres des Affaires étrangères.

Leur absence était un signal clair : ils ne s'aligneront pas publiquement sur la position de l'Égypte sans concessions significatives.

De profondes dissensions

L'absence de MbZ et de MbS au sommet du Caire a souligné un fossé croissant déjà perceptible lors de la précédente réunion à Riyad. Leur participation aurait signifié un soutien sans réserve à la gestion de la crise par l'Égypte, ce qu'aucun des deux dirigeants n'est prêt à accorder sans contreparties.

Des sources bien informées ont déclaré à The Cradle que MbS reste ouvert à l'idée que l'Égypte et la Jordanie accueillent un certain nombre de réfugiés de Gaza, mais uniquement au prorata de leur population et de leur économie respectives. Le principal point de discorde reste toutefois l'avenir politique de Gaza. Les deux dirigeants ont insisté pour mettre fin à l'influence du Hamas, tandis que l'Égypte reste déterminée à maintenir la présence du mouvement, bien que réduite et apolitique.

Les Émirats arabes unis ont eux-mêmes lancé une proposition de supervision internationale de Gaza, associée à une administration gérée par les Arabes et soutenue par 15 milliards de dollars d'aide économique sur trois ans. L'Égypte a rapidement rejeté cette idée, craignant qu'elle n'ouvre la voie au déplacement permanent des Palestiniens. La Jordanie est tout aussi réticente, ne souhaitant pas accueillir quelque 300 000 réfugiés supplémentaires d'ici 2026. Comme l'explique une source égyptienne à The Cradle :

"Le Caire misant sur le financement saoudien et émirati pour son plan, Riyad et Abou Dhabi ont exigé un rôle plus concret à Gaza, qui surpasse l'influence du Qatar. Ils veulent aussi que cette présence reflète leur puissance régionale, garantisse que le dossier de Gaza ne soit pas traité uniquement par l'Égypte au niveau arabe, et que leurs contributions financières bénéficient à d'autres qu'au Hamas".

Dans les coulisses, les responsables américains ont également œuvré à l'évolution des événements. Entre le 23 et le 25 février, des émissaires américains se seraient rendus dans la région avant le sommet pour proposer à l'Arabie saoudite des incitations à l'investissement, notamment dans son  projet de mégapole NEOM, en échange de pressions sur Le Caire et Amman pour les convaincre d'accepter le plan de Trump. Washington aurait même transmis les conclusion de la réunion de Riyad directement au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, qui continue d'espérer une normalisation des relations avec le royaume.

L'Autorité palestinienne (AP), basée en Cisjordanie, a été totalement absente du sommet de Riyad, et aucun communiqué définitif n'a été publié. Le Qatar a tenté de plaider en faveur de l'inclusion du Hamas dans toute structure politique future, mais ses arguments ont été rapidement rejetés par l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et la Jordanie. Pendant ce temps, Oman a refusé d'y assister, restant fidèle à sa position traditionnelle de neutralité.

Sommet du Caire : une réunion laborieuse

Les sommets arabes se déroulent rarement sans drame, mais celui-ci s'est déroulé dans une atmosphère particulièrement tendue. Bien que les participants se soient réunis pour faire face à une crise terrible aux proportions de la Nakba de 1948, aucune solution claire a pu être dégagée. Les discussions ont tourné autour de la menace imminente de déplacements forcés et massifs des populations de Gaza, sur fond d'une administration américaine qui met en avant un programme régional agressif.

L'absence de M. Bouteflika et de M. Ben Salmane n'a toutefois pas été le seul camouflet diplomatique notable. La décision du président algérien Abdelmadjid Tebboune d'envoyer son ministre des Affaires étrangères plutôt que d'assister personnellement aux pourparlers a reflété la frustration de l'Algérie d'avoir été exclue des discussions préparatoires.

Des sources égyptiennes ont déclaré à The Cradle que

"Tebboune est contrarié par la non-participation de l'Algérie aux réunions préparatoires et par le fait qu'elle ait omis d'envoyer une invitation à la réunion consultative de Riyad, en plus de ne pas avoir dépêché de haut responsable sur place pour l'inviter, comme elle l'a fait pour d'autres pays". L'Algérie a fait allusion, et pas de manière très subtile, au "monopole de certains pays sur les décisions arabes".

Derrière ces tensions diplomatiques couve une histoire plus ancienne de frictions entre Le Caire et Alger sur la question palestinienne. L'Algérie s'est de plus en plus positionnée comme médiatrice entre le Fatah et le Hamas, accueillant des pourparlers de réconciliation qui relevaient traditionnellement de la compétence de l'Égypte.

Bien que les relations soient restées tendues, le Caire et Alger ont déployé des efforts pour organiser une rencontre entre Sissi et Tebboune lors d'un prochain événement international afin d'apaiser les tensions, d'autant que l'Égypte a besoin du soutien algérien sur plusieurs questions régionales et africaines.

Le programme parallèle de l'AP

Alors que l'Égypte revendique haut et fort sa propre vision de l'avenir de Gaza, le président de l'AP, Mahmoud Abbas, fait discrètement pression au Caire en faveur d'une proposition rivale, axée sur le rétablissement du plein contrôle de l'AP sur la bande de Gaza. Son plan prévoit que l'AP administre les check-points de Gaza, y compris Rafah et Kerem Shalom, dans un cadre similaire à son "autorité" actuelle en Cisjordanie occupée.

Abbas a fait pression sur l'Arabie saoudite pour obtenir son soutien lors du sommet du Caire, mais l'Égypte et les Émirats arabes unis ont tous deux rejeté sa vision, la jugeant dépassée et irréalisable. Abou Dhabi s'est montré particulièrement sceptique, craignant que l'Autorité palestinienne, très impopulaire, ne gère mal les fonds de reconstruction et n'ait pas la capacité de gouverner Gaza après 17 ans d'absence.

Cependant, Abbas en a surpris plus d'un en annonçant une amnistie générale des anciens membres du Fatah, une décision largement interprétée comme une tentative d'ouvrir la voie au retour politique de Mohammed Dahlan. Compte tenu des liens étroits de Dahlan avec les Émirats arabes unis, certains y ont vu une ouverture à Abu Dhabi, mais le scepticisme reste de mise.

Malgré l'approbation par le communiqué définitif de la proposition de reconstruction de l'Égypte - élaborée avec la contribution de la Banque mondiale et du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) - le plan se heurte à des obstacles majeurs. Washington et Tel Aviv ont rejeté toute option impliquant le Hamas ou l'UNRWA.

"La proposition actuelle ne tient pas compte du fait que Gaza est actuellement inhabitable et que les habitants ne peuvent pas vivre dans des conditions respectueuses de la dignité humaine sur un territoire couvert de gravats et d'engins non explosés",

a déclaré le porte-parole du Conseil de sécurité nationale américain, Brian Hughes, dans un communiqué.

"Le président Trump maintient sa vision de reconstruire Gaza sans le Hamas. Nous attendons avec impatience la poursuite des pourparlers qui apporteront la paix et la prospérité dans la région".

Cependant, obtenir un soutien financier reste un défi, car Riyad et Abou Dhabi hésitent encore à s'engager.

Visite à Washington à haut risque

Pour sortir de l'impasse, l'Égypte a tout mis en œuvre en envoyant à Washington fin février sa délégation d'anciens poids lourds politiques de l'ère de l'ancien président Hosni Moubarak. L'équipe, qui comprenait l'ancien ministre des Affaires étrangères Amr Moussa et des personnalités politiques chevronnées telles que Mounir Fakhry Abdel Nour, Mohamed Kamal et Hossam Badrawi, a rencontré des personnalités clés de l'administration Trump, du Congrès et d'influents think tanks américains.

Les réunions avec Jared Kushner, Mike Pompeo et le sénateur Lindsey Graham ont souligné l'ampleur des efforts déployés par l'Égypte pour obtenir le soutien des États-Unis. Bien que certains responsables aient exprimé leur intérêt pour le plan, on ne peut parler d'engagements clairs. Les préoccupations des États-Unis se concentrent sur le Hamas, la supervision financière et la garantie de l'adhésion de l'Arabie saoudite et d'Israël. Des sources ont déclaré à The Cradle :

"Les divergences entre les positions égyptiennes et américaines mettent Le Caire dans une position délicate, car ce dernier a l'habitude de parier sur le soutien de Washington ou du moins d'obtenir une couverture internationale permettant de lever des fonds auprès d'autres sources, mais se trouve maintenant contraint de chercher des alternatives incluant l'implication de l'Union européenne et de la Chine".

Maintenir le plan de reconstruction sur les rails

Une autre option consiste à présenter des propositions partiellement compatibles avec la vision américaine sans compromettre le rôle de l'Égypte dans le dossier palestinien et d'assurer le minimum de dommages à Gaza pendant les années du mandat présidentiel de Trump.

Pour rassurer l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, l'Égypte a proposé que la Banque mondiale supervise le fonds de reconstruction afin de garantir la transparence du financement et d'attirer des contributions internationales, bien que l'Égypte soit convaincue que la reconstruction du secteur en trois ans ne peut être réalisée sans une généreuse contribution de l'Arabie saoudite et des Émirats arabes unis en plus de celle du Qatar.

Mais alors même que le Caire s'efforce de parvenir à un consensus régional, Washington fait déjà volte-face. Prenant Israël au dépourvu, l'équipe de Trump a organisé des pourparlers directs avec le Hamas à Doha. Les discussions ont porté sur l'échange de prisonniers, les accords de cessez-le-feu et des enjeux politiques plus généraux, un tournant extraordinaire qui souligne l'instabilité des rapports de force dans la région.

L'Égypte reste attachée à son projet, mais les obstacles sont considérables. Le rejet des États-Unis, la réticence des pays arabes et l'opposition d'Israël compromettent la poursuite du plan.

Alors que le second mandat de Trump se poursuit, le Caire pourrait devoir se tourner vers d'autres partenaires que ses alliés traditionnels, en cherchant un soutien financier auprès de l'Europe et de la Chine, tout en gérant prudemment les tensions régionales. La conférence sur la reconstruction reste une planche de salut potentielle, mais l'issue de la mobilisation du soutien international reste incertaine.

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