27/11/2025 lesakerfrancophone.fr  9min #297371

La Marine est un exemple expliquant pourquoi les États-Unis perdent leur relative puissance

Par  Moon of Alabama - Le 27 novembre 2025

La défaite de l'Occident est en partie due à sa perte de capacité d'analyser et de gérer raisonnablement les choses. Une des conséquences est la perte de puissance.

Ici, c'est la marine américaine qui démontre le problème :

 La Marine abandonne son programme pour les frégates de classe Constellation car les délais de construction augmente - gCaptain
La marine américaine a annoncé mardi qu'elle mettait fin, avant d'avoir commencé la construction, à quatre navires de son programme de frégates de classe Constellation en difficulté, marquant un changement stratégique important alors que le service est aux prises avec des retards croissants et cherche des alternatives plus rapides pour l'expansion de sa flotte.

Le secrétaire à la Marine, John Phelan, a révélé la décision sur les réseaux sociaux, déclarant que si les deux premières frégates - Constellation (FFG-62) et Congress (FFG-63) - seront achevées au chantier naval de Fincantieri Marinette Marine dans le Wisconsin, la Marine a conclu un "cadre global" avec l'entrepreneur italien pour annuler les quatre prochains navires prévus.

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L'annonce intervient alors que le programme fait face à de graves défis en matière de calendrier. Le premier navire, initialement prévu pour une livraison en avril 2026, est maintenant attendu trois ans plus tard en avril 2029 - un retard de 36 mois qui soulève des inquiétudes quant à la capacité de la Marine à exécuter ses plans de modernisation.

Au cours des 20 dernières années, la direction de la construction navale de la Marine n'a pas livré une seule classe de navires à temps et dans les limites des prix prévus. De plus, aucun navire n'a atteint les capacités souhaitées et promises.

Il était prévu 32 destroyers de classe Zumwalt avec chacun 16 000 tonnes de déplacement. Seulement trois ont été construits et seulement deux sont actifs. Les navires étaient censés utiliser de nouvelles technologies qui se sont avérées trop compliquées et trop coûteuses :

Le navire est conçu autour de ses deux Systèmes de canon avancés (AGS), de ses tourelles avec des chargeurs de 920 cartouches et de ses munitions uniques de Projectile d'Attaque Terrestre à Longue Portée (LRLAP). L'approvisionnement en LRLAP a été annulé, rendant les canons inutilisables, de sorte que la Marine a réaffecté les navires à la guerre de surface. En 2023, la Marine a retiré les AGS des navires et les a remplacés par des missiles hypersoniques.

La Marine n'a pas de missiles hypersoniques. Tant qu'elle n'en développera pas, ces destroyers extrêmement coûteux seront pour la plupart inutiles.

Il y avait aussi les Navires de combat Littoraux (LCS) à déplacement de 3 000 tonnes qui étaient censés être rapides et transporter des modules d'armes modifiables. Les  petits navires merdiques livrés se sont avérés être des bateaux rapides peu fiables qui ne pourraient pas survivre plus d'une journée dans une guerre. La plupart des modules qu'ils étaient censés transporter n'ont jamais été construits. Sept des 35 mis en service depuis 2008 ont déjà été mis à la retraite. Certains après moins de cinq ans de service.

Pour remplacer le programme LCS défaillant, la Marine souhaitait de plus grandes frégates polyvalentes. Pour éviter une répétition du malheureux programme LCS, un ordre d'en haut a été donné d'utiliser une conception existante. L'idée était d'acheter un modèle de navire ayant fait ses preuves chez les alliés et de le construire aux États-Unis avec seulement des modifications minimes.

Mais la bureaucratie de la Marine est intervenue et en 2020, elle  a abouti à ce « compromis«  :

La Marine a attribué un contrat partiel à Fincantieri pour la conception et la construction de la nouvelle frégate. Le contrat de 795 millions de dollars porte sur la coque de base. Un vaste équipement fourni par le gouvernement (GFE) sera payé séparément et comprend le système de combat Baseline 10 Aegis, le Mk 41 VLS, le Radar de surveillance aérienne d'Entreprise, l'électronique de commandement et de contrôle, les systèmes de leurres, le canon Mk110 de 57 mm, le lanceur de défense RAM point, le lanceur de missiles Naval Strike, SEWIP Blk II essentiellement tout ce qui ne concerne pas la coque.

Le premier navire coûtera 1,281 milliard de dollars, dont 795 millions de dollars couvrant les coûts de conception détaillée et de construction du constructeur naval et le reste couvrant le GFE, y compris les systèmes de combat, les radars, les lanceurs, les systèmes de commandement et de contrôle, les leurres et plus encore.

Les frégates FREMM italiennes/françaises sont des navires bien équilibrés avec un déplacement d'environ 6 000 tonnes. Elles sont configurés pour permettre la lutte anti-sous-marine, la guerre de surface et les défenses aériennes. Vingt-deux sont actuellement en service.

Mais la Marine n'aime pas utiliser des systèmes d'armes fabriqués ailleurs même lorsqu'ils fonctionnent bien. Elle s'est donc tout accaparé, mis à part la conception de la coque, et a essayé d'y insérer son propre type d'équipement.

La conception d'un navire ne fonctionne pas ainsi. Le radar américain est plus lourd, ce qui rend le sommet du navire lourd et instable. Ainsi, la coque doit être élargie, ce qui diminue la vitesse potentielle du navire, ce qui nécessite alors des modifications de la machinerie, etc., etc. L'intérêt d'acheter une conception fonctionnelle pour éviter un dérapage coûteux a été manqué.

De plus, la Marine a ordonné la construction des navires avant même que les modifications de conception souhaitées ne soient définies. Certaines parties des navires ont dû être reconstruites lorsque les conceptions finales sont arrivées. Le Government Accountability Office  a rédigé un rapport très critique à ce sujet :

Sur au moins 2 décennies, le programme de frégates lance-missiles de classe Constellation de la Marine prévoyait d'acquérir et de livrer jusqu'à 20 frégates - des petits navires de guerre de combat de surface multimissions - pour un coût combiné de plus de 22 milliards de dollars. Pour réduire les risques techniques, la Marine et son constructeur naval ont modifié une conception existante pour intégrer les spécifications de la Marine et les systèmes d'armes. Cependant, la décision de la Marine de commencer la construction avant la fin de la conception est incompatible avec les principales pratiques de conception des navires et a compromis cette approche. De plus, l'instabilité de la conception a entraîné une augmentation du poids.

Ce navire a maintenant un déplacement de 7 300 tonnes, ce qui le rend plus lent que la conception originale. Il a également moins d'endurance. C'est plus cher que prévu et avec au moins trois ans de retard.

Le chantier naval qui construit ces navires  n'a pas hésité à mettre en œuvre les modifications apportées par la Marine à sa propre conception :

En novembre 2024, des responsables ont indiqué que le constructeur naval avait soumis cinq demandes d'"ajustement équitable", augmentant le potentiel de croissance des coûts non budgétisée. Les demandes d'ajustement équitable constituent un recours payable uniquement lorsque des circonstances imprévues - telles que la modification d'un contrat par le gouvernement - entraînent une augmentation des coûts. La marine américaine a estimé que le coût total des cinq demandes "ne convenait pas à une publication publique". Selon des responsables, ces demandes concernent des ordres de modification du gouvernement et des changements de conception importants par rapport à la conception du navire parent de la frégate.

Le chantier naval n'a pas non plus  hésité à annuler le programme :

L'accord prévoit la continuité des travaux pour les deux frégates de classe Constellation actuellement en construction et met fin au contrat pour les quatre autres frégates déjà sous contrat. De manière cruciale, Fincantieri a déclaré que la Marine indemniserait l'entreprise sur les engagements économiques existants et les impacts industriels par le biais de mesures prévues à la suite de la décision contractuelle prise par la Marine.

À l'avenir, Fincantieri dit s'attendre à recevoir de nouvelles commandes pour livrer des classes de navires dans des segments qui servent les intérêts immédiats de la nation, y compris des navires amphibies, des brise-glaces et d'autres navires de missions spéciales. La société a également déclaré qu'elle soutiendrait la marine américaine dans sa redéfinition des choix stratégiques dans le segment des petits navires de surface, avec et sans équipage.

C'est, bien sûr, un racket.

Mais derrière, il y a aussi une mauvaise discipline. Une réticence à accepter ce qui s'est déjà avéré être une bonne solution. Un désir déraisonnable de nouvelles technologies même lorsqu'elles sont peu pratiques et trop coûteuses.

Le résultat global est une marine qui  perd constamment sa relative puissance :

Selon une estimation du Pentagone, la marine de l'Armée populaire de Libération devrait avoir environ 400 coques dans l'eau d'ici la fin de cette année. Une cinquantaine de ces navires sont des frégates, selon l'Institut international d'études stratégiques.

La flotte américaine est d'environ 240 navires et sous-marins [mais pas de frégates].

C'est une statistique troublante, disent les experts, l'histoire montrant que dans toute confrontation,  la plus grande flotte gagne généralement.

Le groupe de réflexion du Pentagone RAND a reconnu le déclin. Il a récemment publié un rapport qui exhortait les États-Unis  à accommoder la Chine au lieu d'essayer de la combattre :

En octobre 2025, la RAND Corporation a publié un rapport intitulé «  Stabiliser la rivalité américano-chinoise«. Quelques semaines plus tard, l'étude avait disparu du site Web de la RAND. Sans explication. Pas d'avis de révision. Pas de republication.

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La chronologie elle-même suggère une lutte interne. L'étude est apparue sur le site Web de la RAND à la mi-octobre 2025 et n'a été supprimée que près de deux semaines plus tard. C'est beaucoup trop lent pour une correction de routine et beaucoup trop rapide pour une révision programmée. Un tel délai est caractéristique d'une contestation interne : le rapport a été examiné, approuvé, publié et autorisé à circuler - jusqu'à ce que l'opposition au sein de la structure politique se soit suffisamment durcie pour exiger son retrait. Le rapport RAND n'a pas été supprimé parce qu'il était erroné, mais parce que ses implications sont devenues intolérables après avoir été reconnues.

Une citation bien connue de Sun Tsu exhorte à se connaître et à connaître l'ennemi pour ne pas craindre les résultats de cent batailles. Les États-Unis, semble-t-il, refusent de connaitre les deux.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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