26/04/2025 ssofidelis.substack.com  8min #276116

La Chine, Hong Kong et l'art de (ne pas) cligner des yeux

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Par Pepe Escobar, le 25 avril 2025

SHANGHAI et HONG KONG - Sans surprise, le capitaine Chaos a cédé le premier. Même si lui-même et son cirque médiatique tentent  par tous les moyens de le nier.

Tout a commencé par des "exemptions tarifaires" sur les produits importés de Chine, des smartphones aux ordinateurs en passant par les pièces automobiles. Puis, cela a dégénéré en fuites soigneusement orchestrées laissant entendre que les droits de douane "pourraient" être réduits entre 50 % et 65 %. Et enfin, on a admis laconiquement que si aucun accord n'es conclu, un "taux tarifaire" serait fixé unilatéralement.

Le ministère chinois du Commerce s'est montré impitoyable :

"Tenter de troquer les intérêts d'autrui contre des gains à court terme revient à marchander la peau d'un tigre : cela ne peut que se retourner contre soi".

Et les propos se sont durcis. Le ministère a catégoriquement rejeté toute affirmation de Trump 2.0 selon laquelle des avancées auraient été réalisées dans les négociations bilatérales, affirmant qu'elles sont "sans fondement factuel", qualifiant de facto le président américain de diffuseur de fausses informations.

Des tigres, des tigres qui brillent : cette image n'évoque pas le grand poète William Blake, mais la description légendaire de Mao de l'empire américain comme un "tigre de papier" - un flashback qui m'a envahi à plusieurs reprises la semaine dernière à Shanghai. Si l'empire américain était déjà un tigre de papier dans les années 1960, affirment les Chinois, imaginez un peu aujourd'hui.

Et le mal va s'aggraver, pas seulement pour le tigre de papier : tout accord douteux conclu par des gouvernements étrangers - vasallisés - au détriment des intérêts chinois ne sera tout simplement pas toléré par Pékin.

La semaine dernière à Shanghai, des universitaires et des hommes d'affaires m'ont rappelé maintes fois que l'arme que constituent les "Trump Tariff Tizzy" (TTT) va bien au-delà de la Chine : il s'agit d'une offensive désespérée menée par les classes dirigeantes américaines contre un concurrent de taille dont elles ont une peur bleue.

Les meilleurs analystes chinois savent exactement ce qui se passe à Washington. Prenons par exemple  cet article publié à l'origine par l'influent magazine Cultural Horizon, qui analyse la "structure du pouvoir triangulaire" de Trump 2.0.

D'un côté, nous avons Trump, tout-puissant, qui forme un "super-establishment". De l'autre, la politique de l'argent de la Silicon Valley, représentée par Elon Musk. Et enfin, la nouvelle élite de droite représentée par le vice-président J.D. Vance. Au final, on obtient un "système de gouvernance presque parallèle au gouvernement fédéral".

Les chihuahuas européens, pris entre les feux croisés de Trump 2.0, sont tout simplement incapables d'une conceptualisation aussi synthétique et précise.

Le tigre de papier vs le dragon fougueux

Une immersion profonde à Shanghai révèle que Trump 2.0 a offert à la Chine une occasion rare, comparable à celle des terres rares, de renforcer son initiative stratégique en asseyant son rôle de leader du Sud global/de la Majorité mondiale, tout en gérant avec prudence le risque d'une nouvelle guerre froide.

Appelez cela une manœuvre à la Sun Tzu, susceptible de paralyser l'Empire dans son élan. Le professeur Zhang Weiwei, avec lequel j'ai eu le plaisir de partager un séminaire à Shanghai sur le partenariat stratégique entre la Russie et la Chine , en conviendrait.

La Chine se mobilise sur tous les fronts. Le Premier ministre chinois Li Qiang a envoyé une lettre au Premier ministre japonais Shigeru Ishibe pour le presser de lancer dès maintenant une initiative commune afin de contrer cette démence tarifaire.

Le message principal du président Xi lors de sa tournée en Asie du Sud-Est la semaine dernière a été de s'opposer à "l'intimidation unilatérale".

Xi a adroitement navigué entre la Malaisie, qui assure actuellement la présidence tournante de l'ASEAN et évite toujours de prendre parti, et le Vietnam, dont la "diplomatie de bambou" consiste à se tenir à distance des États-Unis et de la Chine.

Xi a déclaré ouvertement au Premier ministre malaisien Anwar Ibrahim :

"Nous devons préserver les perspectives prometteuses de notre grande famille asiatique".

Traduction : créons une sphère d'influence exclusive proche de cette "communauté à destin commun", mais en excluant les puissances extérieures telles que les États-Unis.

Parallèlement, un vaste débat s'est engagé, de Shanghai à Hong Kong, qui transcende le rôle de la Chine en tant qu'usine du monde : ce qui importe désormais, c'est de réorienter une partie de l'étonnante capacité de production chinoise vers le marché intérieur.

Bien sûr, des problèmes se posent, comme le manque de pouvoir d'achat d'une grande partie des consommateurs chinois, alors même que la majeure partie du revenu national est consacrée aux investissements en immobilisations. Une grande partie de la population âgée rurale survit avec une pension mensuelle d'environ 30 dollars, et le taux horaire dans l'économie des emplois précaires stagne autour de 4 dollars.

Dans le même temps, mobilisant plusieurs domaines en haute technologie, la Chine vient de construire le train à grande vitesse le plus rapide de la planète : 400 km/h, qui circulera bientôt entre Pékin et Shanghai. La Chine reçoit déjà des commandes pour son avion commercial gros-porteur C919. Et elle a mis au point le premier réacteur nucléaire au thorium au monde. En d'autres termes, une énergie propre et bon marché illimitée est à portée de main.

Des méthodes commerciales mafieuses

Hong Kong est un cas très particulier. Les dirigeants de HSBC, par exemple, s'inquiètent d'un éventuel découplage entre les États-Unis et la Chine et se demandent si Hong Kong pourra survivre sans le commerce américain.

Oui, elle le peut. Les États-Unis sont le troisième partenaire commercial de Hong Kong, mais les exportations et les importations de Hong Kong vers les États-Unis ne représentent respectivement que 6,5 % et 4 % de ses exportations et importations mondiales totales, y compris l'acheminement de marchandises entre le continent et Hong Kong.

Hong Kong est une plaque tournante logistique et un port franc de catégorie internationale. Ce qui signifie que tant que Trump 2.0 n'interdit pas le commerce avec Hong Kong - tout peut arriver -, les importations ne devraient pas être affectées. Quoi qu'il en soit, la plupart des exportations de Hong Kong - produits électroniques, articles de luxe, vêtements, jouets - peuvent facilement trouver des marchés alternatifs en Asie du Sud-Est, en Asie occidentale et en Europe.

Plus de la moitié du commerce de Hong Kong se fait avec le continent. La Chine peut facilement survivre sans le commerce américain. Pékin s'y prépare soigneusement depuis Trump 1.0.

De Shanghai à Hong Kong, les meilleurs analystes sont en phase avec l'inestimable Michael Hudson, qui a souligné à maintes reprises que

"les États-Unis sont le seul pays au monde à avoir instrumentalisé leur commerce extérieur, leur monnaie, le dollar, le système financier international, et à traiter toutes leurs relations économiques de manière antagoniste".

Une Chine confiante et férue de haute technologie, des universitaires aux hommes d'affaires en passant par les vendeurs de xiao long bao et de nouilles sautées, a parfaitement compris que l'Empire du Chaos, dans sa volonté d'"isoler" la Chine, ne fait que s'isoler lui-même (ainsi que ses chihuahuas).

De plus, c'est un réel plaisir de voir Michael Hudson faire également référence au syndrome du "tigre de papier" dont j'ai été témoin à Shanghai ces derniers jours :

"L'Amérique est aujourd'hui devenue un tigre de papier sur le plan financier. Elle n'a vraiment rien à offrir, à part la menace tarifaire, celle de perturber soudainement tous les modèles commerciaux mis en place au cours des dernières décennies".

À Shanghai, j'ai assisté à une série de rejets catégoriques du soi-disant "plan Miran", tel que présenté dans le document publié en novembre dernier par le conseiller économique de Trump, "Restructurer le système commercial mondial". Miran est le cerveau derrière l'accord de Mar-a-Lago, dont le principe est d'affaiblir le dollar américain en obligeant les grandes économies, de la Chine au Japon en passant par l'UE, à vendre leurs actifs en dollars américains et à échanger leurs bons du Trésor américain à court terme contre des obligations à 100 ans sans intérêt.

L'idée ingénieuse de Miran se résume à deux options pour les nations :

  1. Accepter docilement les droits de douane américains, sans riposte.
  2. Signer des chèques au Trésor américain.

Zhao Xijun, co-doyen de l'Institut de recherche sur les marchés financiers chinois de l'université Renmin, a réfuté ce projet en quelques mots : transférer ainsi de l'argent au Trésor américain revient à

"collecter de l'argent dans la rue pour assurer sa protection". Traduction : c'est une méthode mafieuse, "un acte brutal et dominateur, dissimulé sous le noble prétexte de fournir des services publics".

Pendant ce temps, du côté du Grand Échiquier, Pékin continue de travailler sans relâche aux côtés de la Russie à la mise en place d'une architecture de sécurité à l'échelle eurasienne ancrée dans un équilibre des pouvoirs : tout repose sur le nouveau triangle Primakov (RIC - Russie, Iran et Chine).

Les principaux membres du BRICS, que sont la Russie et la Chine, ne permettront pas à l'Empire d'attaquer l'Iran, également membre du BRICS. Et le soutien prend plusieurs formes. Exemple : si davantage de sanctions énergétiques impériales sont imposées à l'Iran, la Chine augmentera ses importations via la Malaisie et investira davantage dans les infrastructures iraniennes, en tandem avec la Russie dans le cadre du Corridor international de transport Nord-Sud (INSTC).

En résumé : le capitaine Chaos n'a définitivement pas les cartes en main, ce dont même les pingouins du Pacifique Sud sont conscients, car elles sont toutes fabriquées en Chine.

Traduit par  Spirit of Free Speech

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