12/12/2025 ssofidelis.substack.com  7min #298835

 Nouvelle stratégie de sécurité nationale des États-Unis - Forteresse Amérique, concurrencer la Chine, étrangler l'Europe, oublier le reste

La Belle et la Bête, ou la stratégie de sécurité nationale américaine décryptée par Pepe Escobar

Par  Pepe Escobar pour  Sputnik via  amarynth, le 11 décembre 2025

FLORENCE, Italie - La nouvelle stratégie de sécurité nationale des États-Unis, version décembre 2025, est une bête hybride fascinante et décalée, digne d'un tableau de Bosch. Et elle est tout sauf ce qu'elle semble être.

Une vague de gros titres dans un Occident déboussolé s'est concentrée sur une prétendue dynamique de normalisation entre Washington et Moscou. Mais ce n'est pas le sujet principal de la NSS.

Pour commencer, quel Centaure a bien pu concevoir la Bête NSS  ? Trump  ? Peu probable. Pas le secrétaire aux guerres éternelles, ce pantin clownesque. Ni Marco Rubio, à peine capable de pointer du doigt autre chose que le Venezuela et Cuba sur une carte. Alors, qui en est donc l'auteur ?

Le feu qui brûle dans le ventre de la Bête NSS concerne le partenariat stratégique entre la Russie et la Chine, que l'on cherche à saboter à tout prix. Trump et les anciennes classes dirigeantes américaines ont peut-être finalement conclu qu'il était inutile d'investir dans une guerre frontale contre deux concurrents stratégiquement alliés, la Russie et la Chine. On en revient donc, une fois de plus, à la stratégie "diviser pour régner", et pour tous les autres, à la stratégie du "pillage".

La NSS offre apparemment à Moscou une série de carottes géoéconomiques et géopolitiques, tout en intégrant méticuleusement des contreparties sous des formes hybrides, susceptibles de provoquer la fragmentation de l'élite russe en la réintégrant dans le marché et les "valeurs" américains, ou de plonger la Fédération de Russie dans des "tensions" ethniques, dans le cadre d'une cyberguerre coordonnée.

Rien ne garantit toutefois que l'équipe Trump 2.0 soit suffisamment ingénieuse pour y parvenir. En résumé, et en langage non diplomatique, il serait question d'"isoler" à nouveau Moscou tout en "contenant" la Chine. Mais ni Moscou ni Pékin ne se laisseront prendre au piège.

Ce qui est clair jusqu'à présent, c'est que l'éthique de la guerre éternelle prévaut toujours avec la nouvelle NSS. Mais elle a désormais changé de nom : les guerres seront principalement hybrides, indirectes et peu coûteuses.

Bienvenue dans la multipolarité contrôlée !

Même en réduisant la NSS à un simple récit parmi d'autres - l'Empire du chaos excellant dans l'art de la narration -, des changements rhétoriques substantiels semblent être en cours. L'ancienne "nation indispensable" n'est plus présentée comme le Robocop mondial imposant son hégémonie, mais comme un Robocop régional dans des zones spécifiques (principalement l'hémisphère occidental). L'Europe et l'Asie occidentale sont reléguées au rang de priorités de second ordre.

Pour aggraver ce changement pragmatique de realpolitik, l'empire est désormais, du moins en théorie, présenté comme non idéologique. Les "autocraties" sont acceptables, pourvu qu'elles jouent le jeu impérial. C'est désormais au tour des chihuahuas de l'UE d'être qualifiés d'"antidémocratiques". Trump 2.0 soutiendra une série de partis européens "patriotiques", provoquant sans doute quelques arrêts cardiaques dans la sphère vassale de Bruxelles.

La NSS présente également sa propre vision du monde multipolaire. Appelons cela la multipolarité contrôlée : le Japon "contrôle" l'Asie de l'Est et les vassaux israélo-arabes "contrôlent" l'Asie occidentale via les accords d'Abraham, avec la "lutte contre le terrorisme" imposée par les monarchies pétrolières corrompues du Golfe. Dans les deux cas, l'Empire du chaos tirera les ficelles en coulisses.

L'OTAN a été reléguée, à toutes fins pratiques, au rang de simple figurante. L'Empire monopolise tout : armes, distribution de fonds et garanties nucléaires. Les vassaux doivent s'adapter à toutes les exigences impériales, notamment en consacrant 5 % de leurs pitoyables budgets à l'achat d'armements.

L'OTAN ne s'étendra plus : après tout, les véritables priorités sont l'hémisphère occidental et l'"Indo-Pacifique", une expression floue et mal adaptée à la région Asie-Pacifique.

L'alliance OTAN/UE est désormais au mieux une nuisance, comme des punaises de lit dans un hôtel cinq étoiles. Même avec l'article 5 et le parapluie nucléaire toujours en place. Pourtant, ce sont les Euro-chihuahuas qui doivent payer, payer et payer encore. Sinon, l'Empire les punira.

Le Sud global/la majorité mondiale peut à peine cacher son impatience à l'idée que la Russie scellera la défaite stratégique définitive de l'Occident collectif sur le sol noir de Novorossia.

En un sens, la NSS anticipe déjà ce jour avec un nouveau discours indiquant clairement que l'Empire est déjà passé à autre chose.

Contenir de nouveau la Chine

Selon la NSS, l'Amérique latine, comme l'hémisphère occidental, sera soumise à une pression maximale, réaffirmant ainsi explicitement un "corollaire Trump" à la doctrine Monroe. L'Empire veut récupérer son arrière-cour dans toute son étendue afin de pouvoir la piller efficacement.

Cette stratégie concerne les ressources naturelles et s'applique au Venezuela, à la Colombie, mais aussi, de manière inquiétante, au Brésil et au Mexique. Les "rivaux non hémisphériques", comme la Chine, seront "mis en échec". Une fois encore, une guerre hybride est en cours.

Le discours de la NSS fait de son mieux pour masquer son obsession pour la Chine. Mais le masque tombe lorsqu'il évoque les "premières chaînes d'îles" :

"Nous mettrons sur pied une armée capable de repousser toute agression, n'importe où sur la première chaîne d'îles. Mais l'armée américaine ne peut et ne devra pas agir seule. Nos alliés doivent se mobiliser, dépenser, et surtout agir davantage pour la défense collective".

En d'autres termes, la "première chaîne d'îles", qui s'étend des îles Kouriles en Russie jusqu'aux Philippines et à Bornéo en passant par Okinawa et Taïwan, sera l'épicentre de la militarisation en Asie-Pacifique. La NSS présente cette stratégie d'encerclement de type guerre froide comme un bouclier de protection. La Chine ne se laissera pas berner : cette stratégie n'est autre qu'une intensification de la politique d'endiguement de la Chine dans la région.

Pékin est-il impressionné  ? Pas vraiment. D'autant que l'excédent commercial de la Chine a pour la première fois dépassé les 1 000 milliards de dollars, malgré la baisse des exportations vers les États-Unis due aux hausses tarifaires de Trump. La Chine veut faire du commerce, pas de l'endiguement.

Retour au Chihuahuestan. Le monde entier sait désormais que l'UE et l'OTAN se préparent à entrer en guerre contre la Russie avant 2030, voire dès l'année prochaine. Elles envisagent même une attaque préventive contre la première puissance nucléaire et hypersonique mondiale.

Cependant, bien loin du comique de situation inhérent au suicide politique au ralenti de l'Europe, les États-Unis et leur vassal japonais, dans la vraie vie, ont refusé de se joindre à l'obsession européenne de vol pur et simple des fonds russes.

L'effondrement de l'UE, une entité artificielle dès sa création, est aussi inévitable que la mort et les impôts. Les perspectives sont sombres : portes claquées façon Brexit à répétition, une zone euro ingouvernable, des fuites de capitaux en masse, des rendements obligataires en constante hausse, une dette publique intenable, l'effondrement du marché unique, une paralysie institutionnelle et la perte totale, irréversible et définitive du peu de légitimité dont l'UE a jamais pu se prévaloir.

Un livre récemment publié en Italie par une jeune économiste, Gabrielle Guzzi, en dit long dès le titre : Eurosuicidio. Spengler a fait remarquer que toute civilisation est vouée à disparaître tôt ou tard, et le projet européen actuel pourrait bien marquer le chant du cygne - politique, militaire et spirituel - d'une zone géographique, la péninsule italienne, jouant son dernier rôle dans l'Histoire, après n'avoir rien appris de ses deux précédentes tentatives de suicide, la Première et la Seconde Guerre mondiale.

L'Empire s'en soucie-t-il  ? Aucunement. La Belle expire tandis que la Bête poursuit sa route.

Traduit par  Spirit of Free Speech

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