Les États-Unis et plus d'une douzaine d'autres pays ont interrompu leur aide à l'Office de secours et de travaux des Nations unies, aggravant ainsi la crise humanitaire à Gaza sur la base d'accusations auxquelles les services de renseignement américains n'accordent qu'une « faible confiance ». C'est aussi cruel et absurde que toute cette guerre.
Source : Jacobin, Branko Marcetic
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Une vue de la destruction résultant des attaques israéliennes au siège de l'UNRWA dans la ville de Gaza, Gaza, le 21 février 2024. (Dawoud Abo Alkas / Anadolu via Getty Images)
Une fois de plus, on constate que les allégations du gouvernement israélien utilisées pour justifier la pression exercée par les États-Unis en vue d'intensifier le massacre à Gaza se révèlent aussi peu convaincantes que beaucoup l'avaient prédit au départ.
La semaine dernière, le Wall Street Journal a rapporté que le Conseil national du renseignement américain (un groupe de dix-huit experts et analystes politiques qui évaluent les problèmes urgents de sécurité nationale pour les agences de renseignement américaines) n'avait qu'une « faible confiance » dans les affirmations israéliennes selon lesquelles une douzaine d'employés de l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) auraient pris part aux attentats du 7 octobre. Cela signifie, selon le document, qu'ils estiment que ces affirmations sont « plausibles », mais qu'ils ne peuvent rien dire de plus, car ils ne les ont pas vérifiées de manière indépendante et leurs homologues israéliens ne leur ont pas montré les preuves sous-jacentes. Néanmoins, Washington a jugé ces allégations « crédibles », a assuré un fonctionnaire américain sous couvert d'anonymat au journal.
Il y avait, en fait, de bonnes raisons d'être sceptique sur ces affirmations dès le départ, au-delà de la propension du gouvernement israélien à propager des absurdités douteuses et des mensonges purs et simples. Nous savions déjà, grâce à une fuite, que les responsables israéliens préparaient ces mêmes allégations depuis des mois, dans le cadre d'un effort visant à évincer l'UNRWA, une agence qu'ils détestent depuis longtemps. Ils ont révélé ces accusations le jour même où la Cour internationale de justice (CIJ) a rendu sa décision selon laquelle Israël était vraisemblablement en train de perpétrer un génocide. Un haut fonctionnaire israélien a admis qu' « une grande partie des renseignements provient des interrogatoires de militants », où les abus et la torture des détenus palestiniens sont monnaie courante.
Mais ce communiqué du Journal n'est, en fait, que la dernière fois que nous avons entendu à quel point les accusations d'Israël à l'encontre de l'UNRWA sont remarquablement minces. Quelques jours après les accusations d'Israël - et alors que les États-Unis et d'autres pays avaient déjà suspendu le financement de l'agence, le secrétaire d'État Antony Blinken a admis que « nous n'avons pas eu la possibilité d'enquêter nous-mêmes sur [les accusations], mais elles sont très crédibles » avant de mentionner qu'elles devaient encore être examinées par la Commission européenne. Mais elles sont très « très crédibles », avant de préciser qu'elles n'ont pas encore été « entièrement confirmées ».
Une semaine plus tard, la chaîne britannique Channel 4 a mis la main sur un résumé de six pages du dossier qu'Israël avait utilisé pour formuler ses accusations et a déclaré qu'il « n'apportait aucune preuve à l'appui de sa nouvelle affirmation explosive », information confirmée par d'autres médias qui avaient consulté le document.
Même si les accusations du gouvernement israélien ne reposent sur aucune preuve, même si les Nations unies ont immédiatement licencié les travailleurs accusés et lancé une enquête, et même si, s'il s'avérait que ces accusations étaient fondées, cela signifierait que seulement 0,09 % des 13 000 employés de l'UNRWA à Gaza auraient été coupables, l'administration Biden a immédiatement supprimé le financement des États-Unis pour l'UNRWA.
Les États-Unis étaient le plus grand donateur de l'agence, fournissant environ un tiers de son financement ; la réduction du soutien a donc laissé l'agence face à une faillite financière imminente. Depuis lors, ces accusations ont été utilisées pour justifier une disposition de l'accord frontalier manqué de Biden, qui bloquait toute nouvelle aide américaine à l'UNRWA, ainsi qu'un projet de loi républicain ultérieur visant à défaire définitivement l'agence.
Mais les États-Unis ne sont pas les seuls concernés. Les allégations israéliennes, légitimées par le gouvernement américain, ont également incité huit autres pays - tous alliés ou partenaires proches des États-Unis - à suspendre ou à « réexaminer » leur financement de l'UNRWA, ce qui représente environ 60 % du total des dons promis. D'autres pays ont suivi leur exemple dans les jours qui ont suivi, portant le nombre à quinze, tandis que la Commission européenne a annoncé qu'elle déciderait de maintenir ou non le financement de l'agence après février, sur la base de l'enquête interne des Nations unies, qui devrait être achevée en mars.
Bien que l'administration Biden ait tenté de minimiser l'importance de cette interruption, arguant que l'ensemble de l'aide budgétée, à l'exception de 300 000 dollars, avait déjà été envoyé à l'agence, la décision a eu un effet immédiat sur le financement de l'agence. Le chef de l'UNRWA, Philippe Lazzarini, le responsable de la politique étrangère de l'UE, Josep Borrell, et un porte-parole de l'ONU ont tous déclaré que l'agence connaîtrait un important resserrement budgétaire et devrait même commencer à réduire ses services dès la fin du mois de février, Lazzarini avertissant que ses opérations humanitaires à Gaza étaient en train de « s'effondrer ».
Ces derniers jours, l'UNRWA a dû interrompre les livraisons d'aide au nord de Gaza, tandis que le directeur de ses opérations au Liban a prévenu qu'elles « s'arrêteraient au cours du mois de mars », c'est-à-dire à la fin de cette semaine, en raison de « l'impact sévère » des récentes coupes budgétaires. Un médecin de famille travaillant dans une clinique de l'UNRWA a récemment indiqué que l'agence avait mis fin à son contrat avec lui pour la fin du mois, « probablement en raison des récentes coupes budgétaires importantes », et que cela « s'applique à toutes les personnes employées sur la base d'un salaire journalier ».
Ce qui est scandaleux, ce n'est pas seulement le fait que, bien avant cette guerre, l'UNRWA remplissait effectivement le rôle d'une administration municipale de base fonctionnant à Gaza, en fournissant des services de base tels que l'enseignement, les soins de santé, l'assainissement et la nourriture à sa population appauvrie et mal nourrie. C'est le fait qu'aucune autre entité ne peut faire ce que l'UNRWA fait dans le territoire, et que ces réductions interviennent au moment précis où, grâce aux actions d'Israël, la faim et la maladie y explosent ; c'est pourquoi de nombreuses voix ont condamné ces réductions comme une « punition collective », et pourquoi un habitant de Gaza les a qualifiées de « condamnation à mort ».
Ce qui rend tout cela particulièrement pervers, c'est que les coupes ont commencé le jour même où la CIJ a non seulement jugé que la guerre d'Israël était vraisemblablement un génocide, mais a déclaré qu'Israël devait « prendre des mesures immédiates et efficaces pour permettre la fourniture des services de base et de l'aide humanitaire dont la population de Gaza a un besoin urgent ». Au lieu de cela, les États-Unis et divers gouvernements amis ont décidé de profiter de l'occasion pour faire exactement le contraire, et ce faisant, aggraver l'état de dénuement généralisé de la région.
Pendant tout ce temps, l'administration Biden a continué à envoyer de l'aide militaire à Israël sans aucun scrupule, même si, loin d'avoir 0,09 % de ses représentants accusés d'avoir participé à un massacre, l'ensemble de l'appareil étatique et militaire d'Israël est indéniablement impliqué dans un massacre bien plus important et qui dure maintenant depuis des mois, et que nombre de ses hauts fonctionnaires font des déclarations ouvertement génocidaires quant à leurs intentions.
Les couches successives de perversité, d'absurdité et d'hypocrisie de cette histoire sont difficiles à comprendre. En d'autres termes, il s'agit d'un microcosme parfait de toute cette guerre et de la politique américaine à son égard.
Branko Marcetic est un des rédacteurs de Jacobin, il est aussi l'auteur de Yesterday's Man : The Case Against Joe Biden (L'homme du passé, le dossier contre Joe Biden, NdT). Il vit à Chicago, dans l'Illinois.
Source : Jacobin, Branko Marcetic, 27-02-2024
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises