Par Gideon Levy
Des soldats israéliens à l'intérieur du camp de réfugiés de Jabalia, au nord de la bande de Gaza, le 12 décembre 2023. (Chaim Goldberg)
Il vaut mieux qu'Israël, en ce moment difficile, regarde en lui-même, enfin, pour voir son propre portrait.
Enfin, la justice ; les tout premiers signes du début d'une justice tardive, partielle, mais tout de même un peu de justice.
Il n'y a aucune joie à voir son Premier ministre et son ministre de la Défense devenir wanted dans le monde entier, mais il est impossible de ne pas ressentir une certaine satisfaction face à l'amorce d'une certaine justice.
Dans la complaisance et la victimisation des Israéliens, dans les interminables débats bien-pensants à la télévision, dans les cris sur un monde antisémite et l'injustice de l'amalgame entre Israël et le Hamas, il manque une question fondamentale et fatidique : Israël a-t-il commis des crimes de guerre à Gaza ? Personne n'ose aborder cette question essentielle et critique : Y a-t-il eu, oui ou non, des crimes ?
Si des crimes de guerre ont été commis, des massacres et une famine, comme l'a suggéré le courageux procureur Karim Khan (à la nomination duquel Israël a participé en coulisses, ayant trouvé sa prédécesseur Fatou Bensouda suspecte), alors il y a des criminels qui en sont responsables. Et s'il y a des criminels de guerre, il est du devoir du monde de les traduire en justice. Ils doivent être déclarés wanted et arrêtés.
Si le Hamas a commis des crimes de guerre - et il ne semble pas y avoir d'argument à ce sujet - ses criminels doivent être traduits en justice. Et si Israël a commis des crimes de guerre - et il ne semble pas y avoir d'argument à ce sujet dans le monde, sauf dans l'Israël suicidaire qui se trompe lui-même - les responsables de ces crimes doivent également être traduits en justice.
Le fait de les regrouper n'implique pas une symétrie morale ou une équivalence juridique. Même si Israël et le Hamas étaient accusés séparément, Israël aurait soulevé un tollé contre le tribunal.
Le seul argument entendu aujourd'hui en Israël est que le juge est un fils de pute. Le seul moyen suggéré pour empêcher sa condamnation sévère est de nuire à la Cour pénale internationale de La Haye.
Convaincre des nations amies de ne pas respecter ses décisions, imposer des sanctions (!) à ses juges. C'est ainsi que pense tout criminel, mais un État n'a pas le droit de penser ainsi. Les deux tribunaux internationaux devant lesquels Israël et les Israéliens sont jugés méritent le respect de l'État et non son mépris. L'outrage au tribunal de la part d'Israël ne fera qu'allonger la liste des accusations et des soupçons qui pèsent sur lui.
Il vaut mieux qu'Israël, en ce moment difficile, regarde en lui-même, enfin, pour voir son propre portrait. Mieux vaut qu'il se reproche quelque chose, n'importe quoi, plutôt que de blâmer le monde entier. Comment en sommes-nous arrivés là, telle devrait être la question, plutôt que de se demander comment ils en sont arrivés là.
Quand assumerons-nous enfin la responsabilité de quoi que ce soit, de quelque chose fait en notre nom ? Les 106 députés qui ont signé la pétition contre la CPI et les zéro députés qui ont signé la pétition inexistante contre les crimes de guerre israéliens sont un triste reflet du pays : unis contre la justice, unis dans un éternel sentiment de victimisation, sans droite ni gauche, un chœur céleste. Si Israël est un jour reconnu coupable de crimes de guerre, il faudra se souvenir que 106 députés ont voté pour blanchir ceux de Benjamin Netanyahou et de Yoav Gallant.
La bande de Gaza est en ruines, ses habitants sont tués, blessés, orphelins, affamés, démunis, alors que la plupart d'entre eux étaient innocents. Il s'agit clairement d'un crime de guerre. La famine est considérée par tout le monde en Israël comme un moyen légitime, qu'on le soutienne ou le combatte, tout comme les massacres intentionnels. Comment peut-on affirmer qu'il n'y a pas eu de famine ou de massacre intentionnel ?
Le jour d'après la CPI, Israël doit se regrouper pour procéder à une introspection nationale, ce qu'il n'a jamais fait auparavant. Chaque Israélien doit se poser la question suivante : « Comment en sommes-nous arrivés là ? » Il ne suffit pas de blâmer Netanyahou, le principal coupable, ni d'étouffer l'affaire avec des arguments évasifs sur la hasbara, des conseils juridiques erronés et des remarques extrêmes de la part de responsables israéliens.
Le problème est bien plus profond : depuis 57 ans*, Israël maintient un régime malfaisant et répréhensible, et aujourd'hui, enfin, le monde se réveille et commence à agir contre lui. Est-ce que cela sera également en mesure de réveiller au moins quelques Israéliens de leur sens de la justice je-m'en-foutiste et scélérat ?
NdT
*En bon Israélien l'auteur fait débuter le parcours criminel d'Israël en 1967. C'est son choix.
Faucheuse (d')enfant (s)
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