08/10/2025 reseauinternational.net  8min #292836

 Dr Strange-Trump : How I Learned to Love the Bomb

Dr Hegseth - How I Learned to Stop Thinking and Love the War

par Azzedine Kaamil Aït-Ameur

Épisode II : La réunion a eu lieu

Le film est terminé.
Le générique commence au Pentagone.
La réunion a eu lieu.
Le gag s'est mué en protocole.

Ci-dessous : huit extraits littéraux du discours - tels que prononcés - suivis d'un commentaire court.
Pas de plaisanterie inutile : le réel suffit à faire le travail.

On peut d'ores et déjà constater que le général Buck Turgidson est battu : la farce est désormais institutionnalisée.

*

«Bonjour et bienvenue au département de la Guerre, parce que l'ère du Département de la Défense est terminée».

La sémantique gouverne : renommer, c'est redéployer.
Du masque au manifeste - l'intention devient politique.
Détail subsidiaire : après une nouvelle plaque sur la porte, peut-être un nouveau tatouage sur le torse ?

*

«Ceux qui aspirent à la paix doivent se préparer à la guerre... L'origine remonte à la Rome du IVe siècle...»

On lave l'innovation par l'antiquité.
La prétendue sagesse antique couvre la rupture moderne.
La légitimité historique devient alibi moral.

*

«À partir de ce moment, la seule mission : faire la guerre, se préparer à la guerre et se préparer à gagner...»
«Pour assurer la paix, nous devons nous préparer à la guerre».

Boucle logique parfaite : la guerre se fait loi et la loi justifie la guerre.
Résultat : la diplomatie devient angélisme.

*

«...ils seront écrasés par la violence, la précision et la férocité du Département de la Guerre. En d'autres termes, pour nos ennemis, FAFO. (lit. : «touche et tu verras»)

Menace d'État travestie en slogan.
La coercition devient communication.
On passe de la dissuasion à la promesse d'anéantissement : très mauvaise nouvelle pour la prudence stratégique.

*

«...plus de troupes, plus de munitions, plus de drones, plus de Patriot... plus d'IA... restaurer notre base industrielle de défense... relocaliser tous les composants critiques».

La guerre comme plan industriel : la politique étrangère devient relance militaro-industrielle.
Une économie de conflit mise en accélération - coût social et géopolitique inclus.

*

«Si j'ai appris... le personnel, c'est la politique... Les combattants ont le droit d'être commandés par les meilleurs...»

Euphémisme managérial : sous couvert d'«excellence», se profile la purge culturelle.
L'«apolitisme» invoqué masque les critères d'exclusion.

*

(Passages sur les standards, retour à «la norme masculine la plus élevée», suppression des barbes, tests physiques deux fois par an...)

Biopolitique : on trie les corps pour fabriquer l'adhérent conforme.
Effet immédiat : marginalisation, féminisation expulsée des postes-clés, militarisation esthétique.
À ce stade, on peut se demander : la première guerre n'a-t-elle pas déjà commencé - à l'intérieur ?

*

«J'ai prié... Le président Trump vous soutient... En avant et attirez le feu, car nous sommes le Département de la Guerre. Que Dieu vous accompagne».

Sacralisation de l'injonction guerrière.
La religion devient caution morale de l'escalade.
La guerre se fait vocation rédemptrice : terreau parfait pour l'intolérance et l'irrationalité d'État.
La base militaire devient paratonnerre : on prie pour attirer la foudre, puis on l'appelle dissuasion.

*

Conclusion

La réunion a eu lieu.
Le discours n'est pas une performance de plateau, mais une feuille de route : sémantique, opérationnelle, industrielle et biopolitique.
Nous n'avons pas à inventer la farce - elle est livrée clé en main.
Il nous reste à la lire, lente et nette, pour voir ce que la langue d'État change dans le réel.

Car à force de se préparer à la guerre, ils n'en ont jamais vraiment gagné aucune.
Peut-être est-ce justement la victoire qu'ils cherchaient : celle de la guerre sur le monde.

Acte II - Excuses au lecteur

Je dois au lecteur un aveu.
J'avais annoncé une réunion digne d'une série B : un décor martial, quelques postures viriles, une rhétorique d'un autre siècle.

Erreur d'appréciation.

Nous étions en réalité dans la série Z - avec budget moral réduit et acteurs non syndiqués.
Le seul point sur lequel je ne me sois pas trompé : la mise en scène.

Le drapeau national en fond d'écran, saturé de lumière, et Pete Hegseth s'avançant tel un George C. Scott de substitution - discours à la Patton, cadence martiale, regard inspiré.

Mais là où Franklin J. Schaffner filmait la folie guerrière comme un opéra tragique, Hegseth, lui, la prend au premier degré.
Il croit à son texte, mot pour mot.

Et c'est là que le réel dépasse la parodie :
aucun directeur de casting, pas même Stanley Kubrick, n'aurait osé confier un rôle pareil à Hegseth.
Trop outré, trop raide, trop littéral.

Et pourtant... Trump l'a fait.
Il l'a promu comme on brandit un drapeau : pour que la caricature devienne doctrine.

Scott jouait la folie avec conscience ; Hegseth, lui, la récite sans recul - comme un élève pieux qui confond la prière et la tirade.
Patton savait qu'il jouait un rôle dans l'Histoire ; Hegseth croit qu'il est l'Histoire.

C'est là toute la différence entre un comédien génial et un fanatique dangereux.
Le cinéma, jadis prophétique, est devenu documentaire - le réel, lui, a pris la caméra.

Acte III - Version Kubrick

Et puisque la réalité s'est chargée du ridicule, voici la version digne de Kubrick :
celle où tout est à sa place - la guerre, la foi, la mise en scène - sauf la conscience.

Quantico, Virginie.
La salle de conférence ressemble à un bunker zen : murs blancs, silence climatisé, et sur la table ovale, des visages tendus qui ont appris à sourire comme on désamorce une mine.

Au centre, le ministre de la Guerre : costume impeccable, crâne poli, regard fixe.
Une voix d'acier poli, celle d'un homme qui croit parler au nom du destin.

Sur l'écran, une carte du monde en radiographie :
l'Europe en fièvre, le Proche-Orient en convulsion, l'Asie qui se muscle - bref, un organe prêt à l'arrêt cardiaque global.

Le PowerPoint s'intitule sobrement : Deterrence in a Disordered Age.
Un général tousse, comme pour rappeler qu'il est encore vivant.

«Messieurs», dit le ministre,
«la dissuasion ne suffit plus. Il faut inquiéter le monde, pas le rassurer».

Un silence tombe, traversé par le bourdonnement discret du projecteur - ce son qu'on confond toujours avec la pensée.
On prend des notes comme on prie : pour être du bon côté de la fin.

L'écran clignote.
La Terre tourne lentement en image 3D.
Quelqu'un murmure :
«Elle est belle, quand même».
Personne ne répond.

Un fondu au noir mental.
La scène s'efface, mais le malaise reste - ce sentiment d'assister à la répétition générale d'une catastrophe.

Transition

Ce qui m'inquiète le plus dans la présidence Trump et son gouvernement,
c'est la concentration effrayante de Q.I. à deux chiffres - il n'y en a pas un pour rattraper les autres.
Et, plus grave encore, le messianisme :
celui-là même qu'on a déjà vu à l'œuvre chez George W. Bush,
lorsqu'il déclencha la seconde guerre du Golfe,
en pressant Jacques Chirac de se joindre à lui pour combattre Gog et Magog.

Épilogue - The Dead Zone

Puisque nous restons dans le registre du cinéma, la scène de Quantico m'a rappelé un film vu en 1985 : The Dead Zone de David Cronenberg.
Un film qui fait froid dans le dos, brillamment interprété par Martin Sheen, dans le rôle de Greg Stillson - une sorte de Pete Hegseth devenu président des États-Unis.

Je revois cette scène : un soir, en robe de chambre, Stillson sort de son lit, le visage traversé par une révélation nocturne.
Il appelle un général, qui accourt, encore ensommeillé.

- «Monsieur le président, que se passe-t-il ?»
- «Dieu m'a montré ce qu'il fallait faire. Les Russes préparent l'attaque. Nous devons frapper les premiers».
- «Mais, Monsieur, il n'y a aucune alerte, nos radars...»
- «Signez. Posez votre main sur le scanner - et entrez dans l'Histoire avec moi».

Le général hésite, puis obéit.
Un voyant rouge s'allume.

Quelques secondes plus tard, on frappe à la porte.
- «Monsieur le président ! La situation s'est débloquée avec les Russes !»
Stillson se tourne, le visage illuminé :
- «Messieurs, les missiles sont en vol. Alléluia. Alléluia».

*

Comme le disait déjà Salomon : «le nombre des insensés est infini». - (Ecclésiaste, 1 :15)

...ou, pour parler contemporain : «le nombre des cons est infini».

Audiard, lui, en donna la version populaire :

«Les cons, ça ose tout. C'est même à ça qu'on les reconnaît».

*

Sortie de champ

Ce n'est plus du cinéma, hélas.
C'est la préfiguration.
La fiction, comme toujours, avait simplement eu quelques décennies d'avance.

Ce que Kubrick et Cronenberg avaient imaginé pour conjurer la folie,
d'autres ont choisi de le rejouer - avec caméra, mais sans recul, sans conscience.

Postface - 7 octobre

La doctrine est déjà à l'œuvre. Le 7 octobre, deux ans jour pour jour après l'éruption de violence qui a servi de prétexte, les autorités sanitaires et les organisations internationales font état à Gaza, d'un bilan d'environ 67 000 morts,
hommes, femmes et enfants,
et 169 000 blessés.
(sources : Reuters, Al Jazeera, OCHA).

Le département de la Guerre n'est plus un concept :
c'est une chaîne logistique,
un partenariat des crimes de guerre,
un flux d'armes et de discours ininterrompus.

À Washington, huit cents généraux applaudissent la nouvelle doctrine ;
à Gaza, elle s'écrit dans la poussière des immeubles.

Le génocide a désormais ses parrains officiels,
sa rhétorique,
son logo,
et même son candidat au prix Nobel - Donald Trump - un homme proposé à cette distinction par Netanyahou le criminel de guerre.

On ne peut pas dire que le monde n'était pas prévenu :
la réunion avait eu lieu.

Azzedine Kaamil Aït-Ameur

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