
par Pierre-Alain Depauw
Jusqu'à la semaine dernière, le général de division Yifat Tomer-Yerushalmi était la principale conseillère juridique de l'armée israélienne. Elle est désormais incarcérée, ainsi que l'ancien procureur militaire en chef, le colonel Matan Solomesh.
Arrêtés pour avoir dévoilé les actes immondes de soldats israéliens
Tout débute l'an dernier avec la fuite d'une vidéo de surveillance au cœur d'une enquête sur des allégations de graves sévices infligés à un Palestinien dans une prison militaire israélienne. La semaine dernière, le général Tomer-Yerushalmi a reconnu avoir approuvé la fuite de cette vidéo qui montre une partie des sévices sexuels commis par des soldats israéliens sur un détenu palestinien.
En divulguant la vidéo, le général de division Tomer-Yerushalmi visait à démontrer la gravité des allégations faisant l'objet d'une enquête de son bureau. Mais cette fuite a suscité la colère des dirigeants politiques israéliens qui ont ordonné le génocide contre les Palestiniens à Gaza et couvrent les crimes de guerre commis par les soldats israéliens. Mise sous pression la semaine dernière, Yfat Tomer-Yerushalmi a présenté sa démission.
Après avoir disparu pendant trois jours, elle a été retrouvée sur une plage dimanche soir, et aussitôt arrêtée.
«Nous pouvons reprendre le lynchage», a posté sur X Yinon Magal, vedette sioniste de la télévision israélienne et alliée du Premier ministre Benjamin Netanyahou.
Yfat Tomer-Yerushalmi est le dernier nom en date d'une longue lignée de hauts responsables israéliens ayant démissionné ou été contraints à la démission, la plupart étant remplacés par des personnes considérées comme fidèles à Netanyahou et à son gouvernement.
La colère suscitée par la fuite détourne l'attention des graves abus qui sont au cœur de l'affaire
Lors d'une audience lundi, le juge a déclaré que la détention du général Tomer-Yerushalmi serait prolongée jusqu'à mercredi, car elle est soupçonnée de fraude, d'abus de confiance et d'entrave à la justice. L'enquête se poursuit et elle est incarcérée dans une prison pour femmes du centre d'Israël.
Les médias israéliens ont rapporté que l'ancien procureur militaire en chef, le colonel Matan Solomesh, a également été arrêté dans le cadre de l'enquête sur les fuites. Le cabinet du Premier ministre s'est refusé à tout commentaire concernant cette arrestation.
La fureur suscitée par la fuite de la vidéo révèle la profondeur de la polarisation en Israël et, du moins pour le moment, maintient l'attention des médias et du public sur la fuite et non sur les allégations d'abus.
Les sévices commis par des soldats israéliens ont eu lieu le 5 juillet 2024 à la prison militaire de Sde Teiman, selon l'acte d'accusation contre les soldats inculpés. Il existe des allégations de traitements inhumains et de mauvais traitements à Sde Teiman antérieurs aux faits filmés par la caméra de surveillance.
Selon l'acte d'accusation, les soldats ont agressé le prisonnier palestinien et l'ont sodomisé avec un couteau, lui infligeant de multiples blessures.
Un membre du personnel médical a témoigné sous couvert d'anonymat par crainte pour sa sécurité, et a déclaré que le détenu était arrivé dans un hôpital civil dans un état critique, souffrant de traumatismes contondants à l'abdomen et à la poitrine ainsi que de côtes fracturées. Il a indiqué que le détenu avait subi une intervention chirurgicale pour une perforation du rectum et avait été renvoyé à Sde Teiman quelques jours plus tard. Le membre du personnel a précisé qu'il s'agissait du cas de maltraitance le plus extrême dont il ait eu connaissance à Sde Teiman.
En juillet, lorsque la police militaire est arrivée à Sde Teiman pour arrêter les soldats soupçonnés de mauvais traitements, des affrontements ont éclaté avec des manifestants israéliens opposés aux arrestations. Par la suite, des centaines de manifestants violents ont pénétré de force dans le centre de détention.
Dans sa lettre de démission, Tomer-Yerushalmi a écrit avoir révélé des preuves de ces abus afin de réfuter l'idée que l'armée ciblait injustement ses propres soldats. Cette idée, a-t-elle affirmé, mettait en danger les forces de l'ordre militaires.
Elle a écrit que l'armée avait le «devoir d'enquêter lorsqu'il existe un soupçon raisonnable de violence contre un détenu».
«Malheureusement, cette compréhension fondamentale - qu'il existe des actions qui ne doivent jamais être entreprises, même contre les détenus les plus vils - ne convainc plus tout le monde», a-t-elle écrit.
Le détenu palestinien qui aurait subi des mauvais traitements dans la vidéo a été renvoyé à Gaza le mois dernier dans le cadre d'un échange entre otages vivants et prisonniers palestiniens, selon des documents du bureau du procureur militaire.
L'affaire est toujours en instance devant le tribunal militaire.
Un enchevêtrement de problèmes juridiques
Trois questions juridiques distinctes doivent être réglées dans le cadre de l'enquête israélienne sur les événements de Sde Teiman.
Le premier point concerne les preuves de mauvais traitements infligés par des soldats israéliens à des détenus palestiniens. Le deuxième porte sur l'action de civils israéliens, dont des parlementaires, qui ont tenté d'entraver l'enquête en pénétrant par effraction dans la base militaire où étaient détenus les soldats accusés de ces actes. Le troisième point concerne les accusations portées contre le général Tomer-Yerushalmi pour avoir organisé la fuite de la vidéo de surveillance dans les médias.
source : Médias-Presse-Info