04/07/2024 basta.media  9min #251871

 Semaine cruciale en France après l'arrivée en tête de l'extrême droite au premier tour

Ces circonscriptions rurales où la gauche est en tête

Socialistes, insoumis ou écologistes... Alors que le RN récolte de forts scores dans une grande partie des campagnes françaises, ces candidats de gauche sont malgré tout arrivés en tête dans leur circonscription au premier tour des législatives.

La carte des résultats du premier tour des législatives montre des campagnes qui placent en majorité le Rassemblement national en tête, alors que le RN reste faible dans les grandes villes. Mais des député·es de gauche candidat·es à leur réélection sont aussi en tête dans des circonscriptions rurales. De la Mayenne à la Drôme, en passant par la Haute-Vienne et les Deux-Sèvres, ils et elles ont usé de leur mandat pour lutter contre les déserts médicaux et l'accès aux soins, contre la précarité alimentaire et pour des revenus dignes pour les agriculteurs.

Guillaume Garot : pour l'accès aux soins partout

Dans la première circonscription de la Mayenne, Guillaume Garot, député socialiste sortant, investi par le Nouveau Front populaire, il a recueilli plus de 45% des suffrages exprimés au premier tour. Candidat à un cinquième mandat, il affronte au second tour la candidate investie par le RN, Paule Veyre de Soras, qui a obtenu 28,59%. Le candidat de la coalition pro-Macron, Vincent Saulnier, est arrivé troisième. Il 𝕏 a annoncé son désistement et appelle à voter pour Guillaume Garrot.

L'ancien maire de Laval, où il est né, est connu pour son engagement dans la lutte contre le gaspillage et la précarité alimentaire. Il est l'auteur et le rapporteur de la « loi Garot », qui oblige les supermarchés de plus de 400 mètres carrés à donner leurs invendus alimentaires s'ils sont sollicités par des associations. Début mai 2024, le député socialiste aussi déposé une proposition de loi pour mettre en place un dispositif expérimental nommé « Territoires zéro faim », qui prévoit sur certains territoires la tarification sociale dans la restauration scolaire, la généralisation du repas à 1 euro dans les restaurants universitaires, ou encore des actions d'éducation à l'alimentation.

Lors de la pandémie de Covid, Guillaume Garot a proposé une aide départementale aux familles précaires de collégiens, sous forme de bons alimentaires. L'ancien président du Conseil national de l'alimentation milite pour la création d'une couverture alimentaire universelle. « Parce qu'elle répond à un besoin essentiel, l'alimentation n'est pas une marchandise comme les autres. Au même titre que l'éducation ou la santé, elle doit être garantie à chacun. Elle est, en ce sens, moins un bien marchand qu'un bien commun », affirme-t-il dans une  tribune publiée dans Le Monde en mai 2020.

Guillaume Garot est aussi impliqué depuis longtemps dans la lutte contre les déserts médiaux. En janvier 2023, il présente une proposition de loi d'initiative transpartisane contre les déserts médicaux, visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels. Adoptée définitivement en décembre 2023 par le Parlement, elle démocratise l'accès aux études de médecine et impose un préavis de six mois aux médecins quittant leur lieu d'exercice.

Néanmoins, l'amendement instaurant la régulation de l'installation des médecins libéraux a été rejeté,  regrette Guillaume Garot. Selon lui, l'absence de cette mesure « essentielle », dans le texte final, « minore grandement l'ambition d'ensemble de cette loi ».

Damien Maudet : des permanences mobiles

Damien Maudet, membre du groupe transpartisan sur les déserts médicaux, défend lui aussi la régulation de l'installation des médecins. Candidat à sa réélection en Haute-Vienne, le député LFI investi par le Nouveau Front populaire, il est l'un des rares insoumis élus dans une circonscription en partie rurale.

En ballotage favorable, il a obtenu 37% des suffrages exprimés au premier tour le 30 juin, devançant la candidate du RN Camille Dos Santos de Oliveira (33%). Cet ancien attaché parlementaire de François Ruffin a avait été désigné en 2022 comme candidat de la Nupes pour les élections législative. Il l'avait alors emporté contre la député sortante LREM Sophie Beaudouin-Hubière, devenant élu à 25 ans.

Suite à son élection, Damien Maudet a organisé des permanences mobiles dans les communes de sa circonscription. « Si je me représente, je ne veux pas qu'on puisse me dire qu'on ne m'a pas vu »,  explique-t-il à Libération. « Le problème, ce n'est pas tant que la ligne politique de la gauche ne convaincrait pas, c'est qu'on n'est pas là », ajoute-t-il.

Se déclarant opposé à la professionnalisation de la vie politique, il reverse la moitié de son indemnité parlementaire, soit à peu près 2000 euros par mois, à des associations. Damien Maudet est aussi à l'initiative de l'opération « Allo Ségur, les députés dans les hôpitaux ». Entre les mois de juillet et septembre 2022, des députés de la Nupes ont ainsi visité les établissements de santé de leur circonscription, ont échangé avec les directions d'hôpitaux, les représentants syndicaux, les personnels soignants, les patient·es.

Quatre-vingt établissements ont été visités dans plus de 30 départements. Cette « commission d'enquête populaire sur l'hôpital public », comme l'a appelée LFI, a récolté  plus de 500 témoignages et doléances.

Marie Pochon : « Se garder de donner des leçons »

Marie Pochon est la représentante des écologistes dans le groupe de travail transpartisan sur les déserts médicaux. Dans la troisième circonscription de la Drôme, la députée écologiste sortante investie par le NFP a recueilli 38% des voix le 30 juin. Elle se retrouve en duel face au candidat de l'alliance LR-RN Adhémar Autrand (32%).

En battant en 2022 la candidate et députée sortante du mouvement Ensemble, Marie Pochon avait alors fait basculer sa circonscription à gauche - une première depuis vingt ans.  Cette victoire avait créé la surprise, sa circonscription comprenant la centrale nucléaire du Tricastin, alors que son parti milite pour la sortie du nucléaire. Fille de vigneronne, Marie Pochon entend depuis son élection de 2022 porter un discours rajeuni sur la ruralité au sein des Verts. Elle est à l'initiative de la première édition des « université des ruralités écologistes » à Die, dans la Drôme, en octobre 2023.

« On s'est piégés à ne d'adresser qu'aux CSP+ des grands centres urbains. Il faut sortir des discours de stigmatisation : sur la chasse, la viande, il faut se garder de donner des leçons »,  assure la trentenaire. À l'Assemblée, elle s'attaque à la désertification médicale, travaille sur les alternatives à la voiture, la prolifération des loups ou encore les fermetures de classes dans les écoles.

L'ancienne secrétaire générale de l'initiative  Notre affaire à tous est aussi investie sur les questions d'agriculture. En février 2024, elle soumet une proposition de loi établissant des prix planchers pour les agriculteurs. Cette proposition est adoptée début avril 2024, malgré l'opposition de la majorité présidentielle. Marie Pochon a également déposé une proposition de résolution parlementaire transpartisane visant à rendre publics les presque 20 000 cahiers de doléances réunies au cours du Grand débat national de 2019.

Un front républicain de maires pour Delphine Batho

C'est également la député sortante écologiste Delphine Batho qui arrive en première place dans la deuxième circonscription des Deux-Sèvres, avec 39% des suffrages exprimés. Elle se retrouve en duel face à la représentante du RN Mélody Garault (34%). L'ex-socialiste a succédé en 2007 à Ségolène Royal comme députée de la circonscription. Ministre de l'Écologie au début du mandat de François Hollande, elle est débarquée en juillet 2013 après avoir critiqué le faible budget alloué à son ministère. Réélue députée en 2013, puis en 2017, Delphine Batho siège alors avec le groupe socialiste à l'Assemblée. Elle fait adopter en 2016 l'amendement à la loi biodiversité interdisant les néonicotinoïdes, pesticides tueurs d'abeilles.

Delphine Batho a aussi déposé des propositions de loi pour interdire certains vols intérieurs courts et instaurer des quotas carbone individuels afin de limiter l'usage de l'avion. L'ancienne vice-présidente de l'association SOS-Racisme a quitté le PS en 2018 pour prendre la présidence de Génération écologie, et participe à la fondation du groupe Écologie démocratie solidarité en 2020. Ce dernier étant dissous en octobre 2020, elle rejoint les non-inscrits à l'Assemblée nationale.

Lors de l'examen de la loi « climat et résilience », en 2021, Delphine Batho pointe le manque d'ambition du projet. « Il n'y a pas d'efficacité dans ce texte, il ne permet de réduire nos émissions que de six à dix millions de tonnes de CO2 par an d'ici à 2030. C'est donc un projet de loi qui est à l'écologie ce que la charité est à la justice sociale, c'est-à-dire des miettes »,  dénonce alors la députée.

Puis elle se porte candidate à la primaire écologiste en vue de l'élection présidentielle de 2022. Prônant la sobriété et la décroissance, elle se classe troisième, avec 22,32% des voix. Réélue députée lors des élections législatives de 2022, elle présente en décembre 2023 un projet de loi instaurant un moratoire sur la construction de réservoir d'eau pour l'irrigation agricole.

Dans  une tribune publiée mercredi 3 juillet, seize maires de villages de la circonscription appellent leurs habitants à voter pour Delphine Batho au second tour. « Nous, maires, élus locaux, nous œuvrons quotidiennement pour nos citoyens avec des conseillers municipaux de toutes sensibilités. Si nos convictions personnelles peuvent diverger, nous nous retrouvons tous sur un socle de valeurs républicaines permettant de préserver la cohésion de notre territoire », indiquent les signataires. Un front républicain venu des campagnes.

Daphné Brionne

Photo : À Cournon-d'Auvergne, dans le Puy-de-Dôme, au sommet de l'élevage, en 2023, Damien Maudet (au centre), député LFI de la Haute-Vienne, avec (de gauche a droite), Catherine Couturier (sénatrice LFI pour la Creuse), Mathilde Hignet (ouvrière agricole et députée LFI pour Ile-et-Vilaine, qualifiée pour le deuxième tour), et Marianne Maximi (députée LFI pour le Puy-de-Dôme, qualifiée pour le deuxième tour). ©Adrien Fillon/Hans Lucas

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