12/10/2025 dedefensa.org  7min #293237

 Le plan secret de l'histoire: le voyage philosophique de Nick Land de l'accélérationnisme à l'eschatologie

Ave, ô forces surhumaines

 Journal dde.crisis de Philippe Grasset

12 octobre 2025 (15H30) - Comme nous sommes d'une profonde inculture que je prends soin de ranger avec habileté dans la case féconde de l'inconnaissance, nous ne connaissions rien de Nick Land avant que le philosophe finlandais Markku Siira ne nous en parle, - pas plus tard  qu'hier. Un petit rappel pour situer notre démarche ;

« Le  10 octobre 2025 Siira décrit le parcours du philosophe Nick Land, illustrant parfaitement ce type d'avatar qui nous renvoie à nos origines, y compris par le moyen d'une technologie hyper-triomphante (pour remonter le temps, par exemple, et retrouver nos traditions, non ?) :

» [...] "Il est étonnant que Land ne voie pas lui-même la contradiction entre le progressisme technologique et le traditionalisme réactionnaire - ou peut-être que ce paradoxe est justement le cœur de sa philosophie."

» Le dernier membre de phrase, avec le "peut-être", est si intéressant et correspond si joliment aux pétillements caractérisant notre époque pleine de surprise. Il est bien possible, - et cela serait une joyeuse farce-bouffe, - que l'hyper-technologie, à force d'être hyper, achève sa révolution (orbitale, selon la remarque d'Hanna Arendt) à son point de départ, dans les bras de la tradition. »

Aujourd'hui, nous retrouvons Siira qui, lui, retrouve Nick Land après une lecture plus attentive de ses derniers écrits. Ses découvertes sont particulièrement exaltantes, pour ce site et pour PhG lui-même, par exemple lorsqu'on relit tant de textes comme celui du  29 mars 2018 (« Conversations avec des forces surhumaines ») ou celui du  7 novembre 2023 (« A la recherche d'une conscience perdue »), sans remonter aux origines de "l'intuition de Verdun"' ( 24 novembre 2006).

Cette exultation qui salue mon exaltation exige que je m'avance sous ma propre identité pour dire le bonheur que j'éprouve à découvrir, au travers d'une chaîne de lecteurs-penseurs d'un même galop, un travail fondamental qui justifie toutes ces audaces que je n'ai montré qu'avec parcimonie, dans cette époque inquisitoriale... Par exemple,  lorsqu'il est écrit, hier encore :

« Il est désormais presque courant, disons "sur la pointe des pieds", d'avancer comme hypothèse que tel groupe, tel individu, se trouvent sous une influence diabolique ; ce qui ne signifie pas d'ailleurs un machiavélisme brillant et d'une intelligence imprévisible mais au contraire, et le plus souvent, une consternante stupidité. »

Mais revenons à Nick Land...

Nous allons énumérer quelques points qui me paraissent essentiels dans les conceptions de Land telles que les perçoit Siira. Bien entendu, on retrouve des passages importants du texte ci-dessous mais cette répétition ne me paraît nullement inutile, dans tous les cas pour mieux justifier mon attitude vis-à-vis des conceptions du philosophe.

• « Land maintient une distinction entre le "paléo-libéralisme" et le "libéralisme globaliste" actuel. », nous explique Siira, présentant effectivement Land comme un "paléo-libéral", c'est-à-dire un homme attaché aux traditions les plus immémoriales - même s'il accepte quelques-unes des hyper-technologies, mais à condition qu'elles ne soient pas sous le contrôle d'une centralisation active, quelle qu'elles soient, parce qu'elles seraient nécessairement liées à la modernité. Ainsi juge-il internet avec faveur car il le juge, - justement, me semble-t-il, en saluant ironiquement tous les efforts de censure depuis vingt ans, - impossible à maîtriser par une force humaine quelconque

« Le problème n'est donc pas le libéralisme en soi, mais son arrachement à son environnement originel et sa transformation en une idéologie globale et universelle, devenue selon Land le plus grand problème du monde, un "monstre moralisateur".

» Cette distinction explique l'intérêt de Land pour certaines technologies actuelles. Il voit dans Internet, les cryptomonnaies et l'intelligence artificielle décentralisée une expression moderne des principes paléo-libéraux. Ces technologies reposent sur une logique décentralisée et non centralisée, qui s'oppose à la "sur-codification" venue d'en haut. En ce sens, son accélérationnisme demeure valide : les systèmes décentralisés engendrent une véritable accélération. »

• Son attitude actuelle vient d'un homme qui commença par suivre (dans les années 1990) la voie de la déstructuration selon Deleuze-Guettari. Je placerais donc Land dans la catégorie des "déconstructurateurs paradoxaux", ceux qui ont pu mesurer la puissance de la technique des déconstructeurs pour mieux l'utiliser contre les nouvelles structures que ces déconstructeurs avaient nécessairement développées pour justifier leur théorie par des résultats tangibles. Pour se mettre eux-mêmes à l'abri de toute agression déconstructrice, les "déconstructurateurs paradoxaux" en arrivent à épouser et à imposer des structures supérieures à nos capacités humaines (celles des déconstructeurs par conséquent), une "force supérieure" relayée par la métahistoire, et qui peut être bien entendu, sinon doit être d'origine divine. Dans ce cas, la "technique" du philosophe (le "déconstructeur paradoxal") fournit un moyen ironique pour faire avancer une pensée qui nous fasse sortir d'une telle époque diabolique, - tout cela selon « le plan secret de l'histoire ».

« Selon Land, comprendre en profondeur le temps et l'histoire nécessite d'abandonner la conception habituelle selon laquelle l'homme agit dans un processus causal du présent vers l'avenir.

» Il en découle la thèse centrale de Land : "la structure historique organise les décisions que nous prenons". Ce point de vue révèle son attitude post-humaniste fondamentale, où l'agentivité humaine est remplacée par des processus historiques, voire divins, plus larges. »

•...D'où son attitude décisive d'« avoir confiance dans le plan » qui ne vient ni du cerveau d'un Soros ou d'une van der Layen, ni d'une bureaucratie du Pentagone, ni même (ni surtout) d'une égrégore des hyper-technologies, - mais d'au-dessus, tout en haut, bien au-dessus, là où règne l'air pur des grandes altitudes...

« Son approche consiste plutôt à "avoir confiance dans le plan" — il semble croire que les phénomènes apparemment chaotiques et impies du présent, comme l'accélération technologique, peuvent faire partie d'un plan providentiel plus vaste, même s'il dépasse l'entendement humain.

» Land explique cela en se référant au Faust de Goethe: "L'énoncé de Méphistophélès et le concept de main invisible d'Adam Smith sont presque identiques. Les deux affirment que le bien commun ne résulte pas d'une intention délibérée individuelle, mais s'accomplit grâce à une force supérieure".

» Vu sous cet angle, la pensée du philosophe britannique, autrefois qualifiée de "sataniste", est plutôt une tentative de dire "oui" au processus historique profond, plutôt qu'une rébellion contre celui-ci.

» Enfin, dans sa pensée désormais mature, Land voit comme un développement positif le retour du débat sociétal à un langage théologique et métaphysique. Les accusations de satanisme ne le dérangent pas, car elles montrent que la supposée fin de l'ère moderne séculière et superficielle a été atteinte. »

• Et notre situation actuelle, dans nos rangs divers et variés parcourus de soupirs d'abattement et de frissons de colère ? Elle est que nous suivons nous-mêmes cette même situation que décrit Land, avec le plus grand intérêt, pour justement constater cette même tendance (« « Il est désormais presque courant, disons "sur la pointe des pieds", d'avancer comme hypothèse que tel groupe, tel individu, se trouvent sous une influence diabolique... ») sans plus guère nous intéresser à « l'athéisme auto-satisfait » qui, comme l'"empire" américaniste et l'hégémonie de l'Occident-convulsif, se trouve dans sa phase ultime de décadence :

« Land affirme : "Les gens doivent en réalité penser aux choses de façon beaucoup plus profonde qu'il n'y paraîtrait à première vue. Je pense qu'il vaut vraiment la peine de payer le prix et de supporter les flèches et les coups, si cela signifie que toute la culture passe à un état plus profond de réflexion sur des questions sérieuses".

» Selon lui, cet approfondissement se manifeste dans le fait que les gens recommencent à discuter des anges, des démons et des forces historiques — ce qui, selon Land, constitue une alternative bienvenue à "l'athéisme auto-satisfait". »

A suivre...

L'article de Markku Siira (titre original « Le plan secret de l'histoire: le voyage philosophique de Nick Land de l'accélérationnisme à l'eschatologie ») est publié, de  l'original à sa  traduction française :

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