Sai Englert
Lors d'une marche nationale en soutien aux Palestiniens et contre la normalisation des liens entre le Maroc et Israël (AFP)
Partout dans le monde occidental, des peuples ripostent et se tiennent aux côtés du peuple palestinien contre leurs gouvernements.
Dans le même temps, les responsables israéliens affichent clairement leurs intentions : maintenir le contrôle militaire sur Gaza, la « nettoyer » des survivants du génocide et diviser la Syrie.
L'assaut israélien contre la vie, l'organisation et la résistance palestiniennes et arabes au cours des 18 derniers mois a été dévastateur au-delà des mots.
Cette période restera dans les mémoires, avec celles de 1948 et 1967, comme un moment de défaite majeure pour les Palestiniens et la région face à Israël et à ses sponsors occidentaux, marquée par une expansion coloniale rapide et une redéfinition agressive du statu quo.
Et pourtant, de cette défaite surgiront de nouvelles contradictions, d'où éclatera à nouveau la longue lutte pour la libération.
Des profondeurs inimaginables
La situation à Gaza a une fois de plus atteint des profondeurs inimaginables. Fin avril 2025, le bilan officiel des morts dépassait les 52.400, et au moins 90 % de la population de la bande de Gaza avait été déplacée. Le nombre réel de morts est probablement beaucoup plus élevé.
En septembre 2024, les projections dépassaient déjà les 300.000. Depuis, la situation n'a fait qu'empirer.
Médecins sans frontières a décrit l'ensemble de Gaza comme un charnier. Avant même la dernière annonce du Programme alimentaire mondial, toutes les boulangeries avaient fermé, le lait maternisé était épuisé et les enfants recevaient « moins d'un repas par jour ».
L'accès à l'eau est devenu une arme, Israël coupant l'électricité et le carburant. Le génocide est passé d'une campagne militaire de massacres successifs à un massacre lent et systématique par la famine et les bombardements quotidiens des Palestiniens déplacés. Les mots manquent pour décrire un tel enfer.
La vision du « jour d'après » d'Israël est désormais indéniable. Comme il l'a fait autrefois en Cisjordanie, Israël creuse de petits bantoustans à Gaza, segmentés par des couloirs contrôlés par Israël portant le nom d'anciennes colonies : Netzarim, Philadelphie et Morag.
Cette campagne d'expulsions massives et de famine vise à « amenuiser » la population palestinienne et à la forcer à se réfugier dans des zones considérablement plus petites, loin de la plupart des terres arables, notamment entre Rafah et Khan Younis.
Au-delà de Gaza
L'offensive israélienne s'étend bien au-delà de Gaza. Israël a étendu ses opérations militaires au Liban et en Syrie, faisant pleuvoir le feu sur les civils, détruisant aveuglément les infrastructures et s'emparant de territoires.
Ce faisant, Israël a offert une victoire majeure à l'impérialisme américain, affaiblissant l'Iran et ses alliés tout en étendant son propre contrôle colonial. Les responsables israéliens déclarent désormais ouvertement qu'ils resteront « indéfiniment » dans ces pays, établissant des bases militaires, menant des frappes aériennes de routine et imposant unilatéralement des « zones d'influence » démilitarisées.
En Cisjordanie, Israël a intensifié sa campagne de terreur bien avant le 7 octobre 2023. Depuis, plus de 1.850 attaques de colons ont été recensées, ainsi qu'au moins 860 morts palestiniens, dont 177 enfants. En seulement un an, 20.000 nouveaux logements coloniaux et 49 nouveaux avant-postes ont été créés. Plus frappant encore, Israël s'apprête à redéfinir le statu quo concernant les réfugiés palestiniens - ces sept millions de personnes, témoins vivants du nettoyage ethnique passé et de la nécessité d'une réparation.
Il a déclaré l'Unrwa illégale, permettant ainsi une attaque directe contre les services aux réfugiés palestiniens, tels que les écoles et l'aide sociale. Dans le même temps, il procède à des expulsions militaires des principaux camps de réfugiés de Cisjordanie.
Au moins 40.000 personnes ont été déplacées dans un processus qui ne montre aucun signe de ralentissement.
Et maintenant ?
Face à une défaite aussi cuisante, difficile de ne pas se laisser submerger par le désespoir. Rien ne semble pouvoir contraindre les États-Unis et leurs alliés occidentaux à retirer l'important soutien militaire, diplomatique et financier qu'ils continuent d'apporter à Israël.
Le génocide des Palestiniens, visible aux yeux du monde entier, est le prix que nos dirigeants sont prêts à payer pour préserver leur influence dans une région cruciale pour l'économie mondiale, en particulier dans un contexte de déclin de l'hégémonie américaine. Ils mentent ouvertement, et l'horreur continue.
Pourtant, ce serait une erreur de perdre espoir. Partout dans le monde occidental, des peuples ripostent et se tiennent aux côtés du peuple palestinien contre leurs gouvernements.
Le mouvement de boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS) a connu une croissance exponentielle. 𝕏 Des manifestations massives secouent les capitales des anciennes puissances coloniales. Les étudiants refusent d'accepter la complicité de leurs universités dans l'apartheid et le génocide.
Plus important encore, les travailleurs et les syndicats ont commencé à mobiliser leur pouvoir collectif pour adresser un ultimatum clair à la classe dirigeante : cesser de soutenir Israël, sous peine de perturbations économiques.
De manière cruciale, la résistance se développe également dans toute la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord).
Plus récemment, des dockers marocains ont bloqué une cargaison Maersk d'avions de chasse américains à destination d'Israël - une initiative vitale. La monarchie marocaine a joué un rôle clé dans la normalisation des relations avec Israël, en élargissant les contrats militaires et en permettant à l'entreprise d'armement israélienne Elbit Systems d'ouvrir une usine sur le sol marocain.
Ces accords sont profondément impopulaires, et le fait que cette colère se répande désormais dans les rues et sur les lieux de travail - malgré la menace réelle de répression violente - est révélateur.
Et les 𝕏 Marocains ne sont pas seuls. En 𝕏 Jordanie et en 𝕏 Égypte - deux États voisins d'Israël qui ont longtemps été les fers de lance du processus de normalisation - la résistance populaire s'intensifie également.
Les deux gouvernements ont renforcé leurs liens commerciaux et sécuritaires avec Israël, alors même que le génocide à Gaza se déroule. En Jordanie, de grandes manifestations ont éclaté régulièrement tout au long de la guerre, exigeant la fin du traité de paix de Wadi Araba avec Israël, l'expulsion de l'ambassadeur israélien et la rupture de toutes les relations économiques et diplomatiques.
En réponse, la monarchie hachémite a lancé une répression en interdisant récemment les Frères musulmans sous le prétexte ridicule de déjouer un complot prétendument commandité par le groupe.
En Égypte, où la répression est encore plus brutale et soutenue, la population continue de saisir les rares occasions d'exprimer son opposition à la complicité de son gouvernement dans les crimes d'Israël.
Libération
Cette résistance régionale croissante, qui cible non seulement Israël mais aussi les régimes réactionnaires arabes qui le soutiennent, est essentielle à la libération de la Palestine. Depuis les années 1960, la gauche palestinienne a compris que la libération de la Palestine est indissociable de celle de la région au sens large.
C'est en partie dû à la nature régionale du sionisme lui-même : un avant-poste militaire utilisé pour réprimer les défis à la puissance et à l'influence occidentales. Les actions d'Israël au Levant au cours des 16 derniers mois en fournissent un exemple contemporain.
Cela reflète également les rapports de classe en Palestine. Les travailleurs israéliens sont profondément investis dans le projet colonial de peuplement, y compris dans sa forme actuelle génocidaire. Ils ont souvent pris des initiatives pour l'intensifier. Ils ne constituent pas une force crédible pour la libération palestinienne.
Les Palestiniens, en revanche, sont exclus du cœur économique d'Israël, relégués à des secteurs périphériques tels que la construction, l'agriculture et les services à bas salaires. L'équilibre des forces internes ne leur est pas favorable. Contrairement aux travailleurs d'Afrique du Sud, du Kenya ou d'Algérie, ils ne sont pas en mesure de mettre fin à l'économie de colonisation pour obtenir leur liberté.
Les Palestiniens doivent donc lutter aux côtés des masses régionales plus larges pour se libérer de l'impérialisme occidental, des élites dirigeantes locales et du colonialisme de peuplement israélien. Ghassan Kanafani, révolutionnaire, écrivain et théoricien palestinien, a décrit ces trois forces comme la « trinité ennemie » à laquelle sont confrontés les Palestiniens - la principale menace à leur libération.
De même, le penseur et révolutionnaire marxiste Jabra Nicola a écrit que « la lutte contre l'impérialisme - indissociable de toute lutte démocratique - ne peut être qu'une lutte contre toutes les classes et tous les régimes dominants de la région ».
Les deux hommes écrivaient dans les années 1970, après une nouvelle défaite régionale, mais leurs réflexions restent cruciales aujourd'hui. Selon le camarade de Kanafani, George Habache : « La route de Jérusalem passe par les capitales du monde arabe. » Nous en avons eu un aperçu en 2011, lorsqu'une vague révolutionnaire a déferlé sur la région. De la Tunisie à la Syrie, de Bahreïn à l'Égypte, les peuples ont lié leur liberté à celle des Palestiniens et ont exigé la fin de la normalisation et de la complicité arabe. Ces soulèvements étaient nés de la solidarité avec la deuxième Intifada. Aujourd'hui, une décennie et demie plus tard, le génocide israélien à Gaza et le silence des régimes arabes redynamisent des mouvements de masse autrefois vaincus. Leur renaissance reste la clé d'une Palestine libre.
Source: ISM France